Exposition | À la frontière du récit

À la frontière du récit | un ensemble d’œuvres issues de la collection des Abattoirs-FRAC Occitanie

Commissariat Patrick Tarres
En partenariat avec les Abattoirs-FRAC Occitanie

Vernissage 2 juin 2017- 18h30
Exposition 02.06.2017 > 18.10.2017

Cette exposition inaugure l’ouverture du nouveau lieu de L’AFIAC et du POP UP Café. Elle s’inscrit en préambule à Frontières effrangées qui sera le titre du festival d’art contemporain des artistes chez l’habitant programmé du 8 au 10 septembre 2017 à Fiac.
frontières

Becky BEASLEY Portsmouth (Royaume-|Uni), 1975
If I should see a white bear (North-west passage, AUX II) 2013
Photographie noir et blanc, encre pigmentaire sur papier

L’artiste britannique Becky Beasley explore les relations entre photographie et objets, le corps et l’intériorité, d’une manière extrêmement personnelle quoique développée grâce à l’immersion dans les pensées et méthodes d’autres artistes et écrivains. Selon ses propres mots, sa pratique s’intéresse aux questions photographiques dans la sculpture et aux questions sculpturales dans la photographie.
If I Should See A White Bear (North-West Passage, AUX II) – Si je voyais un ours blanc (passage Nord-Ouest, AUX II) fait partie d’une série dont le point de départ est une nappe appartenant à la mère de l’artiste, référence à la vie de famille, aux repas partagés et à la nourriture. Le trou a été percé de manière à pouvoir y glisser un parasol au milieu, sur une table de pique-nique, mais dans le contexte de l’histoire et de la théorie de la photographie, il évoque irrémédiablement l’influent texte de Roland Barthes sur le punctum, ou « petit trou »: Barthes expose dans La Chambre claire: Notes sur la photographie, qu’il constitue la source du caractère poignant de la photographie. Dans cet ouvrage rédigé après la découverte d’une photographie de sa défunte mère, de laquelle il se sentait proche, il écrit: « le punctum d’une photographie est cet accident [d’un détail photographique] qui me saisit (mais qui également m’anéantit, se révèle poignant à mes yeux),… car le punctum est également: dard, grain, coupure, petit trou—-et aussi le point noir sur un dé.» Dans la photographie de Beasley – également un portrait maternel d’une certaine façon – ce qui pourrait se révéler douloureux dérive de l’acte d’amour d’une mère qui cherche à protéger sa famille de la chaleur du soleil. En opposition à l’argument qui voudrait que la photographie soit toujours douloureuse puisqu’elle nous confronte à ce qui est perdu et envolé, Beasley adopte une approche optimiste et statue que l’art photographique déborde de vie et d’amour.

Elle propose avec élégance et douceur l’inscription de toute vie et expérience de vie dans la photographie et décrit cet effort comme un geste absurde mais politique et spirituel: un acte fondamentalement libératoire.
L’œuvre évoque également d’autres thèmes parcourant la pratique de l’artiste. Beasley a mis en valeur la similitude de la nappe avec des draps et vêtements cléricaux, ainsi que le caractère sexuel d’un possible trou pour voyeur. Le fantôme des premières heures de la photographie, lorsqu’un tissu recouvrait la caméra, laissant juste un trou pour la lentille, plane au-dessus de ces connotations domestiques et sexuelles. L’œuvre, minimale et opaque en apparence, constitue une sorte d’acte de résistance, ou un plaidoyer pour l’intériorité qui sous-tend ces multiples références.

La question de l’échelle permet à Beasley d’explorer les aspects sculpturaux de l’image qu’elle produit. Ici la nappe est reproduite à l’échelle 1, testant les limites du processus photographique. Sa majorité possède une précision et une haute définition qui révèle dans le détail les creux et plis du tissu, mais aux extrémités, l’image s’adoucit. Le cadre est également de la plus haute importance: la photographie est plus “relâchée” sur les côtés, comme pour démontrer qu’il s’agit là d’un objet appartenant au monde et non un procédé purement pictural et sans âme.

Le titre, If I Should See a White Bear (North-west Passage, AUX II) -Si je voyais un ours blanc (passage Nord-Ouest, AUX II), est tiré d’un fameux passage du roman de Laurence Sterne, The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman (Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme), écrit au XVIIIème siècle. Le passage en question examine les contingences du langage et de la narration en énumérant de manière laborieuse et comique les différentes manières de nommer un ours blanc. Par conséquent, le titre ne vise pas à nommer ou circonscrire mais bien plutôt à envisager les multiples possibilités du langage pour désigner un objet.
Helen LEGG 2013 [trad. Laurent Garcia]

 

François BÉALU, Amilly (Loiret), 1932
Le Roi des Aulnes 1980
Techniques mixtes

François Béalu se forme à l’art de la gravure lors des deux années qu’il passe en Suède. A son retour en France au début des années 1960, il ouvre une librairie, « La Mandragore », spécialisée dans la littérature fantastique et grave sa première plaque en 1963. Au cours des années qui suivent, l’artiste enrichit sa pratique, variant les techniques et les supports autour de représentations imaginaires. Près de dix ans après l’ouverture de sa boutique, il décide de quitter le commerce du livre et Paris pour s’installer en Bretagne dans les Côtes d’Armor où il se consacre exclusivement à la gravure. Dans les années 1980, il visite Amsterdam où il fait la découverte de l’œuvre gravée d’Hercule Seghers (1590-1638) et de Rembrandt. Plus tard, au début des années 1990, il se rend au Maroc et en Tunisie où il trouve dans le désert une nouvelle source d’inspiration. A cette période, il fait la rencontre de Gilles Clément, ingénieur paysagiste, avec qui il se lance dans le projet d’un livre d’artiste. De cette collaboration naît une amitié entre les deux hommes qui partagent une réflexion commune sur le paysage, ainsi qu’un ouvrage «L’éloge de la friche» qui paraît quelques années plus tard. Au fil du temps, la pratique de François Béalu ne cesse d‘évoluer, diversifiant les thèmes et les techniques, dont témoigneront plusieurs expositions dans les musées français.

L’œuvre gravée de François Béalu s’appuie sur le dessin. A ses débuts, l’artiste explore des thèmes fantastiques, oniriques, issus de ses nombreuses lectures. Son installation en Bretagne en 1971 marque un tournant dans sa pratique ; il délaisse le monde de l’imaginaire et se plonge dans un travail descriptif. Les heures passées dans son jardin lui font découvrir un monde organique, souterrain, fait de bulbes, de larves, de racines, lui inspirant de nouvelles compositions. Le corps fait peu à peu son apparition dans son œuvre, mêlé à cet univers minéral et végétal. Dans les années 1980, lors de ses déambulations dans la campagne bretonne, il découvre les mégalithes.

Ses rochers archaïques immenses deviennent pour l’artiste une véritable source d’inspiration, son regard quitte les profondeurs de la terre pour s’élever vers le paysage. Ce dernier devient ainsi dans les années suivantes le sujet de prédilection de Béalu, travaillant herbe, vent, pierre, relief dans un rapport intime à l’espace et au temps. En constante évolution, son œuvre se peuple petit à petit d’éléments géométriques, de signes graphiques associés aux formes végétales dans un travail proche de l’écriture. Ses gravures deviennent plus abstraites, la ligne s’émancipe du sujet, interrogeant notamment la notion d’infini. Dans les années 2000, le corps fait son retour dans la pratique de l’artiste. Etudié dans son anatomie, proche de l’écorché, il se mêle aux recherches menées sur le paysage au sein de compositions où les deux sujets finissent par se confondre.

Le roi des Aulnes (1980) témoigne de l’amorce du travail de l’artiste sur les mégalithes bretons. Ici, la composition est entièrement occupée par cette masse rocheuse à l’allure sculpturale. Imposante, la roche paraît cependant tendre, comme modelée à la manière d’un corps dans une texture semblable à celle d’une peau. Fissurée, éclatée à certains endroits, elle porte à sa surface les traces du temps à la manière d’un épiderme ridé, tacheté. La matière apparaît ici comme une combinaison de la chair et du minéral, rendue dans un trait fourmillant et un contraste des noirs et des blancs qui lui confère toute sa texture. Le titre de l’œuvre est tiré du roman de Michel Tournier, « Le roi des Aulnes » paru en 1970. L’auteur, à travers le récit de la vie du personnage d’Abel Tiffauge, revisite le mythe de l’ogre dans le contexte de la seconde guerre mondiale. C’est peut-être ce que l’artiste nous donne à voir à travers cette matière étrange, la peau d’un ogre tapi dans les rochers. L’hybridation du corps et de la pierre en est ici à ses débuts, s’exprimant de façon plus explicite dans les compositions des années suivantes.

 

Francesco BONAMI, Florence (Italie), 1955
Indian files o il sogno di Scipione 1985
Huile sur toile

Francesco Bonami est connu pour ses écrits critiques en matière d’art contemporain et son travail en tant que commissaire d’exposition. Né à Florence en 1955, il étudie la scénographie et l’histoire de l’art à l’Académie des beaux-arts. Au début des années 1990, il s’installe à New-York où il collabore avec le magazine Art Flash pour lequel il produit plusieurs articles. En 1993, il devient commissaire d’exposition pour la section Aperto à la Biennale de Venise, une sous-exposition consacrée aux jeunes figures de l’art contemporain. Il y présente notamment Maurizio Cattelan et Damian Hirst, encore méconnus. Très vite, Bonami s’impose et assure la mise en œuvre de diverses expositions ; dès 1999, il devient conservateur au Museum of Contemporary Art de Chicago. Véritable tremplin, cette nomination l’amène à se voir confier en 2003 l’organisation de la 50ème Biennale de Venise. Disposant d’une renommée internationale, Bonami est également l’auteur de divers ouvrages dont « Cattelan, Maurizio- L’autobiographie non autorisée » paru en 2013.

La carrière d’artiste de Francesco Bonami fut relativement brève. Dès 1988 il abandonne la peinture pour une activité plus institutionnelle. « Je me compare souvent à un géographe en train de dessiner une carte. Mais les points, les lignes qu’il trace dans l’espace ne sont pas la réalité. Ce qui se crée en fait, est une histoire du paysage. Faire une peinture est une aventure en territoire inconnu. J’appelle le temps, j’essaie de le capter. J’essaie de rappeler en fait la même harmonie que lorsque j’étais enfant. »

Indian Files o il sogno di Scipione (1985), est une huile sur toile traitant le thème mythique du songe de Scipion mis en scène par Cicéron dans le dernier livre de son traité politique « De Republica ». Scipion Emilien y raconte un rêve fait une vingtaine d’années auparavant alors qu’il était en Afrique au début de la troisième guerre punique. Au cours d’une soirée passée en compagnie du roi de Numibie Massinissa, il s’endort et se met à rêver. Il se voit accueilli dans les cieux par ses pères, Scipion l’Africain et Paul Emile, qui lui présentent l’organisation cosmique de l’univers et lui révèlent les conditions de l’immortalité de l’âme. Les héros dévoués ayant agi conformément au bien se verront attribuer une félicité éternelle. L’histoire est interprétée ici par l’artiste qui figure le corps du personnage de Scipion étendu, endormi, au milieu d’un paysage nuageux où défilent, les uns derrière les autres, de petits hommes vêtus de rouge. A l’horizon, un paysage se dessine, semblable à celui d’une ville au bord de l’eau, comme un rappel à la réalité nuançant le panorama onirique au premier plan. Les figures en file indienne, la tête baissée, les yeux clos, tenant à la main leurs chapeaux, évoquent le deuil, la veillée du défunt gisant sur son lit mortuaire. Une dimension mystique et poétique se dégage de cette vision nuancée par le rapport à la mort.

 

Virginie BARRÉ Quimper (Finistère), 1970
Time after time 2006
Grand mannequin en résine polyester et résine de coulée epoxy, peaux de cheval sur la tête, peaux de mouton au sol, tissu, couverture en feutre, couverture militaire, petit mannequin en résine.

Les œuvres de Virginie Barré ne racontent pas d’histoires, elles les contiennent. Et, à la lisière du rêve et de la réalité, ses personnages semblent avoir développé des facultés à sonder des mondes parallèles inconnus.

Une figure géante d’indienne assise en tailleur, les yeux clos, semble contempler sa propre effigie, elle aussi les yeux fermés. Comme un symbole de l’auto-réflexion, Time after Time évoque à la fois l’univers médiumnique et les espaces ambigus du refoulé et de l’imaginaire.
Cette proposition a été librement inspirée par la vie et l’histoire de Hilma af Klint (1862-1944), une artiste suédoise, pionnière de l’art abstrait. Née le 26 octobre 1862 à Stockholm, Hilma est issue d’une famille noble. Élève à l’Académie royale des Beaux-Arts de Stockholm, elle se consacre d´abord, comme toutes femmes peintres de cette époque, à la réalisation de paysages et de portraits, disciplines qu´elle a pratiquées professionnellement une grande partie de sa vie.

Parallèlement à ce travail, elle fonde en 1896, avec quatre autres femmes, le “Cercle des cinq”, et pense entrer en contact, par le biais d’expériences médiumniques, avec des esprits qui deviendront à la fois ses “Guides” et les commanditaires de ses premières toiles abstraites. Dans les années 1910, elle étudie l’anthroposophie, une discipline qui se veut une science de l’esprit, une tentative d’étudier, d’éprouver et de décrire des phénomènes spirituels avec la même précision que celle avec laquelle la science étudie et décrit le monde physique.

Virginie Barré, née en 1970, escalade les genres et les époques et se livre à des emprunts tous azimuts à la fois dans les coffres de l’histoire de l’art et dans ceux de la culture populaire. Les indiens Hopi chevauchent des fauteuils de Mies van der Rohe, les suffragettes côtoient les blondes platines d’Hitchcock dans des mises en scène arrêtées, des instantanées de récits non-élucidés.

« Son travail se lit par extraits, fragments, comme une énigme qu’on ne peut résoudre que si l’on suit les traces et les indices réunis dans ses images. On pourrait assimiler sa démarche à un processus de réanimation ou de re-création de l’imaginaire puisqu’elle réveille des personnages inanimés pour leur donner un nouveau souffle sculptural. Elle met et remet en scène et provoque le spectateur avec des installations plus vraies que nature, avec l’illusion de la posture et des jeux d’échelle.»
Jérôme Sans, 2009

 

Oliver BEER Pembury (Royaume-Uni), 1985
Alice falling de la série Reanimation 2014
Film 16 mm et transfert numérique couleur muet
durée: 2’17 »
Production : Villa Arson, Nice

Film d’animation reposant sur une citation d’un dessin animé de Walt Disney. Oliver Beer en a extrait les images pour les livrer à la réinterprétation d’enfants de la région niçoise. Une fois remonté, le film livre de façon subliminale et kaléidoscopique la narration traditionnelle du film augmenté de cette complexe perception infantile.

Oliver Beer est né en 1985 dans le Kent (Royaume-Uni), il vit et travaille entre Paris et Londres. Ayant tout d’abord étudié à l’Academy of Contemporary Music à Londres, puis à la Ruskin School of Fine Arts de l’Université d’Oxford, l’artiste développe un travail dont le corps et la voix sont les outils privilégiés. Artiste pluridisciplinaire, Oliver Beer réalise dessins, photographies, vidéos et performances. En 2009, il gagne le prix « New Sensations » de la Saatchi Gallery. En 2011, il est artiste résident au Pavillon du Palais de Tokyo et en 2012 aux cristalleries Saint-Louis dans le cadre du programme de résidence de la Fondation d’entreprise Hermès.