Le 4 Février 2011 au café de Fiac 21h

Création de Nieves Correa pour les AFIAC/Café/Performance le 4 février à Fiac.

Elle entre dans le demi-cercle éclairé formé par le public, un léger sourire aux lèvres témoin de son appréhension déjà communicative.
Elle porte un chemisier rouge à volants, un ruban relève ses cheveux.
A son poignet un bracelet porte épingles rouge rempli d’aiguilles noires.
Au milieu elle dispose une chaise, s’assoit. Elle pose les deux mains sur ses genoux, respire.
Elle fait glisser la manche de son chemisier jusqu’au coude, croise les pieds. Une à une, elle plante les aiguilles à tête noire dans la rondeur de son épaule. Il y en a cinquante et une.
Lorsqu’elle les retire, certaines font saigner. Le sang coule le long du bras, tâche le tissu rouge, jamais essuyé. Chaque aiguille enlevée soulage.
Elle entame la deuxième épaule.

Nieves Correa cherche a expérimenter des sensations très primaires, à la fois corporelles et intellectuelles. Elle se soumet à une douleur physique et impose à l’autre de la soutenir. Il appartient au public de décider de le supporter ou non. Selon l’endroit où l’on se situe, la performance se déroule différemment. Le face à face avec l’artiste évacue davantage le rapport aux autres membres du cercle, bien qu’il reste présent. Sur le côté, le spectateur est confronté à l’artiste au premier plan, au public au second. Celui-ci vit la performance en deux temps : le public situé sur le côté ne voit pas la performance sur la première épaule. Nieves Correa décide de la reproduire sur la deuxième.
La disposition s’adapte au lieu de la performance. Nieves Correa en proposant des chaises, n’a aucune idée de la manière dont le public va s’en saisir. Elle est uniquement à la recherche de proximité entre elle et les spectateurs. Dans le café de Fiac s’est formé un espace circulaire, délimité et clos. En formant un cercle, chacun se fait acteur pour l’autre qui le voit. Un rapport de corps à corps se crée alors entre le public et l’artiste ainsi qu’entre les membres du public eux-mêmes. Cette mise en abime de la vue au travers d’autrui autorise une double lecture : la puissance du regard du spectateur suggère un autre regard que celui qui nous est propre. Il y a ceux qui bougent, et ceux qui sont immobiles. Ceux qui parlent, ceux qui lui sourient, ceux qui décident de ne plus regarder du tout. C’est dans cette mise en espace et cette symétrie du regard que se développe la performance de Nieves Correa. Il semble que ce soit ces conditions formelles qui permettent à son travail de se déployer. Le public, dans ses réactions, est essentiel à la performance. C’est grâce à cela qu’elle se voit chargée de sens, et non l’inverse. Dans cet espace, créé par nous, par la lumière aussi, dans ce temps et cet acte, dans cet échange avec elle et entre nous, chacun fait face à son propre ressenti, subissant ou non l’influence de celui des autres. Cinquante et une aiguilles, c’est autant que son âge. Elle transmet ce qui fait d’elle une femme, avec ses angoisses, ses obsessions, ses espérances, qui se révèlent universelles. C’est ici, dans ces interactions, que se crée le ou les sens que chacun veut lui donner. Nieves Correa semble vouloir se détacher de toute référence précise. Au sein de la performance, c’est à chacun de construire ses propres références, au travers de ses propres mythes et peurs. Elle choisit de ne pas dire et de cette façon, il est difficile de cerner la nature de son geste.

Est-elle réellement dans une démarche non-maîtrisée ou bien est-elle en totale possession de son acte ? C’est justement au travers de cette femme là et de son acte si dérangeant et ambigu que chacun crée sa propre histoire, s’ouvre à ses propres symboles.
La performance de Nieves Correa se centre sur la relation avec et entre le public dans un temps donné et ici dans un espace clos. Ce qu’elle dégage de plus manifeste est la liberté d’interprétation dans une oeuvre en mouvement. A l’instar d’Umberto Eco, nous pourrions parler d’une oeuvre « ouverte ». « La poétique de l’oeuvre « ouverte » tend, dit Pousseur, à favoriser chez l’interprète « des actes de liberté consciente », à faire de lui le centre actif d’un réseau inépuisable de relations parmi lesquelles il élabore sa propre forme, sans être déterminé par une nécessité dérivant de l’organisation même de l’oeuvre. »

Mathilde Bardou

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