EVOR
Fiac 2005 – + si affinité
Un événement de l’AFIAC
Commissaire d’exposition : Pascal Pique
Directeur artistique : Patrick Tarres
L’artiste était reçu chez Daisy Alvergne, Serge Créci et Axel Luberne
« Daisyderata (2005) Source d’eau noire…»
Bonjour Evor,
Merci pour ta carte, bien que je ne connaisse pas Nantes, j’ai trouvé sympa que tu me montres où tu habites. J’ai pris du recul par rapport à l’expérience que nous avons vécue, ce fut très enrichissant. J’ai l’habitude d’accueillir chez moi beaucoup de monde mais là, l’enjeu était particulier. Nous devions partager un projet pour aboutir à une exposition. Ce qui a été fabuleux c’est ta rencontre. L’expérience artistique, qui au départ pour moi était primordiale, est passée au second plan, puis te connaissant un peu plus, le projet a refait surface. Ce n’était plus toi mais l’artiste qui devait s’exprimer et cerise sur le gâteau, réussir son expo !
Pendant les trois jours de l’exposition, ma maison n’était plus la même, ça m’a bousculée, j’ai mis huit jours à m’en remettre, j’ai eu du mal à retrouver mon espace de vie, soudainement si vide, je peux même te dire que quatre mois après, j’ai réaménagé l’espace, je suis de nouveau chez moi.
Tout ça a été très positif pour moi, mais bon « ça déménage ».
GENIAL !!!
Quand tu veux, on recommence, je t’embrasse très fort.
Daisy
Dear Daisy,
je suis encore étonné de notre rencontre !
J’appréhendais ce contexte particulier de création : investir le lieu de vie d’une personne qui m’était inconnue. Très sceptique sur le plan esthétique, j’espérais ne pas atterrir dans la petite boutique des horreurs et surtout que “le courant passe” !
C’était sans compter sur notre entremetteur, Patrick, qui très judicieusement nous a fait nous rencontrer. Je suis surpris à quel point nous nous sommes sentis bien ensemble, en confiance. Ton écoute et ta générosité y sont pour beaucoup.
Un équilibre et une complicité parfois silencieuse ont très vite rendu possible notre échange.
Ce terme d’échange est essentiel. Il résume assez bien cette expérience qui de part et d’autre a malmené nos a priori respectifs. Je suis heureux que tu aies pu décortiquer, comprendre la genèse d’une oeuvre et voir que tout cela n’était pas gratuit mais nourri de sens.
Mon sentiment c’est que je te dois complètement cette oeuvre puisqu’elle s’est inspirée de ton lieu de vie, de ta sensibilité, ton rapport à la nature et aux éléments.
C’est pour cela que “Daisyderata” est en partie, un portrait, une interprétation de ta personne.
Je suis très touché par ton investissement dans les préparatifs de l’accrochage : sans que je te le demande tu as pris l’initiative de repeindre les murs de ton salon que tu as vidé entièrement. Mille mercis pour cette disponibilité, ton ouverture d’esprit et ton accueil !
A très bientôt
Evor
Coucou Evor,
Merci pour tous ces compliments, c’est réciproque. Je suis très heureuse d’avoir pu approcher d’aussi près le travail d’un artiste en train de se faire, de voir comment le regard d’un artiste se pose sur la vie pour en faire une oeuvre d’art.
Comment as-tu fait pour sentir et cerner autant de choses sensibles en si peu de temps ?
Les artistes sont-ils doués d’une sensibilité particulière ? Tu as eu plusieurs idées, une seule a vu le jour. Comment as-tu fait le choix?
J’ai vu quelques unes de tes pièces avant de te rencontrer, j’ai tout de suite senti ta délicatesse et ta précision. Effectivement j’ai fait le maximum pour préparer ma maison afin qu’elle puisse accueillir ton travail.
Pour Daisydérata, tu as vraiment mis la main à la pâte (creuser la falaise, remuer la terre…), est-ce dans tes habitudes ?
J’aimerais vraiment savoir ce que tu es en train de faire, quels sont tes projets.
Je t’embrasse très fort beaucoup.
Daisy
Daisy,
Pour répondre à ta dernière lettre, je pense effectivement que les artistes font preuve d’une sensibilité particulière.
Non pas parce qu’ils sont supérieurement sensibles mais parce qu’ils choisissent d’être très attentifs à des idées et à des questions en général évacuées parce que problématiques, complexes ou gênantes…
Cette exploration du ressentir s’attache souvent à mettre en lumière des détails d’importance.
Ce temps de réflexion et d’action n’est pas régi par une exigence de rendement, de productivité !
Sa logique est toute autre et s’autorise le luxe de l’hésitation. Pour Daisyderata, un seul des trois projets de départ a subsisté.
Et ça n’était ni le plus spectaculaire, ni le plus démonstratif !
Ce qui a orienté mon choix c’est qu’il soit en adéquation avec ce que j’ai cru percevoir de ta sensibilité et de ton état d’esprit; pour répondre à cette rencontre.
Nous n’avons pas eu à discuter préalablement de ce qu‘était ou pouvait être une oeuvre, une démarche artistique et tant mieux !
Tu l’as remarqué, notre échange a été plus intuitif que verbal.
J’ai donc conçu cette oeuvre en respectant ta manière de t’exprimer, de transmettre : peu mais du concentré, avec tendresse sans pour autant exclure les sujets douloureux.
Je suis heureux qu’en découvrant le reste de mon travail tu aies relevé ce souci de délicatesse et de précision !
Ce sont quelques uns des critères qui articulent mon travail, mais pas seulement !
J’aime à la fois que des éléments de fragilité, de douceur cohabitent avec un danger potentiel, parfois avec cruauté.
Et peut-être qu’en ce sens mes oeuvres se situent juste avant que l’un ne supplante l’autre.
La source d’eau noire ne pouvait pas avoir un débit trop important, trop brusque.
Je l’ai souhaité doux et reposant, il a donc pris la forme d’un goutte à goutte dont la sonorité, le rythme invitaient à une méditation apaisante.
Et pourtant cette noirceur de l’eau crée un doute et apporte un basculement nécessaire, une ambiguïté.
Au-delà, l’oeuvre est livrée à la sensibilité et à l’interprétation de chacun.
Tu as vu comme les réactions sont différentes !
Tu évoques la réalisation technique de Daisyderata et je dois dire qu’elle fut relativement simple car la roche était friable.
J’aime mettre la main à la pâte, c’est un petit plaisir égoïste mais aussi une contingence souvent d’actualité.
Certes il faut savoir déléguer certaines réalisations à des techniciens et artisans compétents mais là où la réalité dépasse la part poétique de l’oeuvre c’est que sa réalisation et son efficacité, son rendu dépendent aussi des budgets de production !
Heureusement + si affinité a permis cet exercice périlleux d’optimisation !
Actuellement, je réalise des portraits hybridant humain, végétal, animal ave une attention particulière sur les regards de telle sorte qu’il se dégage de l’ensemble un fluide sensuel, une vision totémique, onirique…
Je réfléchis également à des sculptures-objets, pourquoi pas accessoires ou architectures, magnifiant certains gestes, suggestifs et emblématiques, parfois en contraignant ce geste, en le prolongeant…
Mais il est encore trop tôt pour en dire plus.
Ai-je répondu à tes questions ?
En attendant, le monde et l’actualité étant ce qu’ils sont… j’ose tout de même me permettre cette fantaisie désuète mais sincère : je te souhaite une année pleine de plaisirs et d’espoir.
à bientôt
Evor
Lors de la 5ème édition de « + si affinité », j’ai rencontré Daisy Alvergne, mon hôte.
Séduit par le rapport symbiotique qu’elle entretient avec la nature, les éléments, le sur-naturel et inspiré par la surprenante falaise avec laquelle on tombe nez à nez en sortant de son salon, j’ai eu envie de me livrer à une supercherie : dans cette roche se trouve un creux du à l’érosion. Il pourrait s’en écouler une source et Daisy en serait la détentrice. Elle influerait sur son débit et son tarissement. J’ai donc réalisé cette source factice qui a pris la forme d’un goutte à goutte au rythme apaisant.
Son eau est noire et imprègne la pierre.
Daisy fait partie intégrante de l’oeuvre en récoltant ce liquide aux vertues mystérieuses.
Elle devient en quelque sorte la sorcière, la rebouteuse du village qui élabore élixirs et poisons…
… dans son salon est accroché un dessin-portrait composé entre autre de son regard.
Il en jaillit également une source, plus vive. Posé au sol, une jarre en verre transparent renferme l’eau noire.