Valérie Mazouin | Spectaculaire aléatoire

Fragile-précis

Avancer avec détermination sur des petits bords étroits et glissants. Froissées, les idées incertaines ne se destinent pas à un itinéraire précis mais se mêlent à d’éphémères brèches, de douces convivialités.
Les architectures fabriquent les propositions. Les oeuvres se permettent une relecture des lieux. Maison de bois, maison ouvrière, maison de village, Lionel Sabatté, Marie Dainat et Ingrid Obled ont conversé avec leurs hôtes pour saisir et construire.
Débris d’ongles et de poussières, traits et lignes, ombres et sons, de l’intention s’impose l’instabilité du geste, telle une petite violence soignée. D’ici s’échappe l’infinie répétition, le mouvement perpétuel des vies, mouvements de bascule toujours faits d’abandons successifs.

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Lionel Sabatté La Cabane de bois

Il marche et traverse à grands pas la nature environnante avant de s’installer. Avec Nasser et Evelyne, il convoque l’attention et la douce rencontre puis offre au sol domestique une petite sauvagerie. Des oiseaux, déposés avec soin, épars sur le sol, englués de poussière, surgissent dans des espaces cachés ou visibles. L’impertinence émoustille ces figures silencieuses. Les obscures bestioles décharnées occupent le terrain, contaminent l’espace clair et dépouillé du salon. Le pas est surpris. Il y a la peur d’écraser.
C’est à la fois la mise en scène d’un petit spectacle du désespoir annoncé, mais ainsi faites de débris et poussières, ces figures animalières recueillent en elles-mêmes la conscience de vies fragiles.
Les murs de la maison se parent de dessins et peintures, elles ont un rythme, une récurrence, celle de l’esquisse d’une dramaturgie qui se situe entre requiem et renaissance. C’est ici une invitation à penser que chaque chose a la possibilité de ne pas être à sa place. C’est un dérangement ordonné dans l’ordonnancement de ce qui se fait. Les volumes, traits et lignes, tels des soubresauts incantatoires, semblent issus d’une tentation, celle d’une frêle révolte.

Marie Dainat Maison de papier

Elle perçoit et s’empare d’émotions avant de décider. Chez Edwige et Alain, elle comprend leur espoir de renouveau. Cette maison est pour eux une étape, un possible changement. Elle est le début d’un temps joyeux qui reste et doit rester présent. De son côté, il y a la continuité, celle du travail de papiers découpés, celle du dessin au scalpel affûté. Mais l’apparition de la couleur, qu’elle utilise pour la première fois dans ces découpages, marque un renouveau pour elle aussi, une quête alors commune de plus de joie.
Les découpages sont présentés dans le grenier, seule pièce de la maison pas encore investie par la famille. C’est ici le choix d’un espace brut, plein d’espoir, plein de «possibles».
Beau et étrange, il est marqué en journée d’une très belle lumière naturelle venant du toit. Elle accroche avec soin ses dessins sur le mur gris et lisse. Cet espace est silencieux, propice à la rêverie et peut-être même à la contemplation.
Ainsi ces dessins vibrants sur leurs fonds simplement colorés, transforment la feuille de papier en espace intime dont on saisit sans détour la densité narrative. La nature est là, présente, un personnage de dos semble s’imprégner de cette luxuriance. L’oeuvre est un jardin au coeur de la maison. L’oeil du spectateur observe ces espaces dessinés d’une lame, qui offrent un fragile instant celui d’une attente perceptible, celle d’un espoir partagé.

Ingrid Obled Petit abri

Elle écoute, transforme et livre les chuchotements à l’abri des regards et choisit la cave. Là, sous la maison au petit jardin, cachés et protégés, les secrets de Mila, Myriam et Christophe ne s’envolent pas. Le dispositif se découvre au détour d’une pièce puis d’une autre, dans l’ombre et l’à peine lumière. Pour voir autrement…
Dans cet espace, le quotidien se construit comme un temps parallèle, autonome. Le pas contraint par la terre battue, la marche encombrée par cet éblouissement soudain du jour au sombre, le souffle tenu par la fraîcheur soudaine, Il faut ouvrir grand ses oreilles et voir scintiller les lucioles, ces filaments lumineux qui rythment le ciel soudain si bas.
Les prises de sons, subtiles, livrent des bruits de la maison ou des envolées d’oiseaux auxquels se mêlent les voix de Mila, la petite fille, et de sa mère, Myriam. Leurs mots et leurs paroles, projetées dans l’air encore frais de ce tout début d’été, rappellent d’autres histoires ; telle une collecte de mémoires, elles composent une musique.
Mila répète à l’infini : C’est un secret, il faut pas que tu le dises… un langage imaginaire tient sa place. Doboraya ! Ici se construit un lancinant récit. Ces moments produisent alors l’instant capital de l’oeuvre sonore. L’ombre de l’instable affirme la recherche et le questionnement. Ce travail en mouvement souhaite l’éveil. La ritournelle se fait danse au milieu de cette grotte imprégnée d’éclaircies altérées. D’une voix à l’autre il faut entendre les petites confidences qui inventent un ailleurs. Choisir sa place. Multiplier les histoires pour n’en faire qu’une. Le trait du dessein s’affirme sur les contours et donne le sens qu’il voulait au travail.
L’application retranscrit les possibles. L’attachement au paysage et les lieux investis précisent la nature d’une recherche singulière où fabrication et engouement défient des espaces conquis. La maison organise l’intime, le contraint, en fait percevoir l’inédit. Sans confusion, le mouvement propose des systèmes qu’il se plaît à déjouer. Chacun essaie de s’approprier des espaces de liberté.
La place d’un espace plutôt qu’un autre. Avec précision, l’oeuvre est là.

Valérie Mazouin