Delphine GIGOUX-MARTIN – + si affinité 2005

Delphine GIGOUX-MARTIN

Fiac  2005  –  + si affinité

Un événement de l’AFIAC

Commissaire d’exposition : Pascal Pique

Directeur artistique : Patrick Tarres

L’artiste était reçu chez Lila Poujade et Mathieu Lacaze

Delphine Gigoux-Martin + si affinité 2005 Fiac

 

 

 

 

 

 

 

 

Installation vidéo :

– deux échaffaudages montés sur la façade de la maison
– 7 projections vidéo de dessins animés dans les quatre salles intérieures
– un espadon et un piranha dans la pièce du Capitaine Yves, en bas à gauche
– un fou de bassan et des thons dans la cuisine, en bas à droite
– des dauphins dans la pièce de Lila, en haut à gauche
– des fous de bassan et orques dans la pièce de Mathieu, en haut à droite.
Par les quatre fenêtres de la maison, on peut apercevoir des dessins qui s’animent sur les murs intérieurs des chambres et cuisine.

D
Je suis arrivée en début de semaine, curieuse de voir l’échafaudage, dont j’avais suivi le montage à distance…
Et c’est de nuit que j’ai retrouvée la maison de mes hôtes, avec sa nouvelle façade.
J’étais enchantée.

Y
Vendredi soir. Dans le compartiment qui pue le tabac depuis que j’ai tapé une clope à 200 km/h à la fenêtre, j’essaie de me concentrer sur deux lignes de La Physique d’Aristote.
Chaque fois c’est pareil, dès que j’essaie de lire un livre, au bout de deux lignes, j’ai l’esprit qui déraille. Je pense à autre chose. Dix ans que je suis dans La Recherche du Temps Perdu, j’suis pas encore passé du côté des Guermantes. Au début je n’étais pas très emballé d’accueillir une artiste. Mathieu m’avait dit que le boulot de Delphine était chouette. J’étais sur les nerfs et j’avais les cervicales en marmelade. Arrivée en gare le Lexos – on dirait un nom d’anxiolytique ou de catastrophe chimique, c’est un peu pareil – je me rends compte que j’ai à peine lu une phrase et encore je sais plus laquelle. Et merde.
Je somnole jusqu’à la correspondance, sur le quai vide, il y a bien des piliers, mais de paroles confuses point – ça va pas mieux –, suis à St-Supplice. Mathieu m’attend à Lavaur dix minutes après mon arrivée. Je suis content de voir sa bouille.
« Ça va – Ça va pas – Tu vas voir c’est bien ce qu’elle a fait – Je suis surénervé »
Y a eu table espagnole à la maison avec les artistes, les familles, la veille.
Il me raconte, moi pas.
Le camion s’arrête sur le côté de la maison. Je descends puis je monte, je descends, je me tiens aux carreaux, je regarde, j’attends… Tout défile…
Ô flots abracadabrantesques !

Delphine Gigoux-Martin + si affinité 2005 Fiac (Tarn)

D
J’ai passé la semaine avec Mathieu et Lila, on s’est occupé de l’installation des vidéos, du jardin, des thés glacés, de l’apéritif…
Aujourd’hui c’est la journée de présentation entre familles, le troisième colocataire, Yves, dit gillou, dit le capitaine – beaucoup de surnoms pour un seul homme – doit arriver.
Mathieu va le chercher à la gare, en plein milieu de la tournée entre famille !
Va falloir s’organiser ! Je propose à Mathieu que nous présentions ensemble l’installation… il n’est pas séduit par cette idée, mais il aimerait bien que je lise la préface de Gide pour Paludes, livre dont nous avions parlé la veille. Ok, c’est bien.
Je finis la tournée des maisons +si affinité avec Jean-Michel, il m’a fait une place dans sa voiture-suffisait juste de passer la glaciaire derrière.

Y
Elle avait des chaussures pointues, je voyais que ça ou plutôt je ne voulais voir que ça – timidité maladive. Je lui avais dit bonjour entre deux portes. Pour une première rencontre, on a vu pire, mais où ? On prenait l’apéro dehors. On parle.
Le soleil ravageur donnait à la campagne (et à ma peau) une couleur de vieux chorizo, avec les chaussures pointues, la théière prenait des airs de lampe magique. Mais le génie avait dû s’évaporer de ma cafetière, j’ai pas décroché un mot à part un truc du genre “suis énervé”.

D
La journée est terminée, la soirée va commencer, et ce n’est pas une mince affaire dans le coin ! On se retrouve tous sur la place du village, on mange, on discute, et on discute – aussi – beaucoup dans le coin !

Y
On part pour Fiac. Fiac, on dirait le son d’une voile en kevlar quand elle se regonfle de vent juste après un virement de bord au près. On monte sur la colline avec son château d’eau qui pointe comme un téton. Je fume clope sur clope à l’arrière de la voiture. Ensuite, je me souviens que l’alcool est descendu comme un torrent nerveux par mon gosier.
Je tiens des propos affligeants sur la 6ème république, je danse avec un loup blanc, je finis par décider que tout le monde m’énerve (j’ai bien peur que ce fut le contraire) et m’en vais par les sentiers, bleus soirs d’été, tête nue.

Delphine Gigoux-Martin + si affinité 2005 Fiac (Tarn)

Y
Le lever fut difficile, souvenirs de la veille de la veille. Il avait fallu naviguer de ma chambre à la salle d’eau pour éviter les regards indiscrets des visiteurs sur mon corps mâtiné de dessins… animés. Le coup de vent était passé, mais une houle résiduelle me hantait le crâne et son écume me sortait désagréablement par les yeux injectés de rouge.
J’étais dans le bain, enfin ! Que d’eau ! J’ai ri.
La température, dehors, avait déjà atteint le point de fusion de la glace italienne qui alors dégouline délicieusement entre les doigts des petits enfants en pleurs. Tout le monde – c’était déjà l’agorafolie – passait ou repaissait sur l’herbe fraîchement coupée.
Je t’adressais mon plus séant bonjour – on peut se tutoyer maintenant que l’on est paisible et que l’on est plus dans le décor – comme aux restes des troupes.
Y
On a eu le samedi soir au repas de La Cellule notre première discussion construite – il devait être ni trop tôt ni trop tard – sur le rêve. Je sais depuis que la thématique de l’exposition t’avais beaucoup plue. Je te racontais que je pensais que l’on ne rêve que lorsqu’on se réveille ou lorsqu’on s’endort (mais là, j’y songe, on appelle pas ça du rêve). Et que le rêve, ce serait finalement rien qu’un vilain petit film d’un mauvais réalisateur : le conscient (y en a d’autres).
Il est en veille quand on dort et l’inconscient travaille (et le conscient, à mon avis, il y comprend pas grand chose à l’inconscient, et subséquemment, moi non plus). Au moment de passage vers la phase éveillée, en utilisant tout ce qu’il a en mémoire et le peu qu’il arrive à capter de l’inconscient, il va nous projeter vite euf son tournage.
Même que des fois, il est tellement à la bourre, qu’il fait des grosses bourdes dans le casting : pas la bonne tête, pas le bon nom ; sans parler des décors improbables, des dialogues incompréhensibles et des acteurs détestables (ce ne sont pas les seuls).
Mais qu’importe, le but est de nous remonter des profondeurs hadales du sommeil jusqu’à la surface de son royaume d’entendement.
Ouais, bon, c’était un peu tiré par l’hameçon de la casquette du pêcheur harnaché du dimanche, mais minuit devait être passé. D’ailleurs je m’étais réveillé cette nuit-là.
Ou alors… j’ai rêvé. Tu m’avais parlé de la structure du rêve, t’en parlera mieux que moi, et je trouve que ça faisait résonance avec ton installation.

Delphine Gigoux-Martin + si affinité 2005 Fiac (Tarn)

D
Pour moi, l’installation fonctionne comme le rêve, même espace-temps. On ne peut jamais raconter son rêve. On redevient bêtement narratif, on simplifie l’histoire, en faisant glisser des actions les unes derrière les autres dans un décor. Je cherche dans l’installation une superposition des tableaux aux temps et durées différents. Les perspectives s’entremêlent, les actions sont buissonnantes : arriver à voir et vivre plusieurs pensées en même temps.
La disposition d’une installation ressemble en cela à celle du rêve.
Tout est dans un espace de profondeur aux perspectives infinies, le concentré de sensations et pensées nous submergent ; notre esprit rebondit, passe d’un élément à un autre, fait des bonds dans l’espace, lieu et temps. Mais je fais là un maigre résumé ! C’était un des bons moments de + si affinité, où les conversations s’envolent.

Y
Et du coup, y en a qui retombent…
Il m’apparaît également, maintenant que ton installation a disparue, qu’elle traversait la thématique du fantasme. Pas tant au sens psychanalytique « production de l’imagination par laquelle le moi tente d’échapper à la réalité » puisque quel artiste ne serait pas un réalisateur de fantasmes ? Qu’au sens étymologique, phantasma : « image offerte à l’esprit par un phénomène extraordinaire », qui a donné fantasmagorie et fantôme.
C’est sans doute le côté fantomatique qui m’a le plus frappé l’esprit lorsque j’ai vu ton travail, sans l’exprimer ainsi ; je t’avais dit : « calme, intranquille ».
C’est quoi un fantôme ? Une apparition. L’apparition d’une disparition.
Plus précisément, l’apparition d’un disparu qui aurait perdu son enveloppe tout en gardant l’adresse : ça hante un lieu, un fantôme. (D’ailleurs, ne serions-nous pas de monstrueux vaisseaux fantôme au vu du nombre de spectres qui nous hantent ?)
Et puis, ça a une fréquence de fréquentation.
Si ça apparaît, ça disparaît… avant de réapparaître. (Et oui ! ça revient un revenant). Je trouve qu’il y avait ce mouvement dans tes vidéos qui leur donnait un aspect inquiétant, spectral.

D
Oui, je pense que le dessin c’est un fantôme sur papier, et avec le dessin animé, il s’en échappe !

Delphine Gigoux-Martin + si affinité 2005 Fiac (Tarn)