Collectif DING
Lautrec 2014 -Des artistes chez l’habitant
Un événement de l’AFIAC
Commissariat général : Patrick Tarres
Commissaires invités : William Gourdin et Paul de Sorbier
Le collectif était reçu par le Café Plùm
Une nuit à Lautrec, 2014
Projection vidéo, version longue
Durée de la fiction : 20 mn
Durée de la partie documentaire : 1h20
Une nuit à Lautrec, film contexte, film prétexte
Au cours d’une après-midi chaude et ensoleillée, sans que l’on sache pourquoi, les clients du café Plùm de Lautrec sont piqués par d’étranges moustiques. À la tombée de la nuit, après qu’un concert eut démarré, que la musique eut envahi le lieu de ses accords jazzy, le comportement des personnes change peu à peu. L’ambiance chaleureuse du café Plùm bascule imperceptiblement dans une forme de folie collective. Le banal d’une soirée au bar se termine en scènes gore qui voient des zombies se repandre dans le village. Cependant quatre individus réchappent de la soirée, à l’instar d’autres habitants de la commune. Ces derniers sont en danger et de potentielles victimes de l’insecte mutant qui décime peu à peu l’essentiel du corps social.
Ce résumé, évidemment peu vraisemblable, constitue le synopsis de la première partie du film réalisé à Lautrec par le collectif Ding (Lyn Nekorimaté et Jean-Paul Labro), Une nuit à Lautrec. Il est le prétexte à une longue aventure ambiguë et introspective pour les survivants du cauchemar, ce que dévoile la seconde partie du projet.
L’ensemble de la matière filmique, une fois montée, repose effectivement sur la confrontation de deux blocs esthétiques antagonistes et sur la couture de genres fictionnels également très distincts.
Les vingt premières minutes puisent dans des registres de ce que l’on pourrait qualifier de « réalisations jetables ». Elles alternent des séquences de type soap opera, à d’autres qui ne dépareilleraient pas dans un journal télévisuel de la mi-journée. Certaines encore appartiennent à l’univers du cinéma d’épouvante, le titre du projet faisant explicitement référence à Une nuit en enfer de Robert Rodrigues. Dans cet entrelacs d’images référencées, un hommage est cependant rendu à Chris Marker par le recours au stop motion, comme dans La Jetée. À l’inverse, toute la seconde partie du film rompt avec le « maniérisme » assumé de
ce qui précède. Elle est structurée par une succession de gros plans fixes, classiques du témoignage dans le documentaire. En prévision de cette seconde partie, les artistes eurent recours à l’entretien filmé pour interroger des personnages ressources et clés de la vie locale, jouant leur propre rôle dans le cadre de la fiction (le médecin, le maire, l’institutrice, l’agriculteur, un panel de jeunes…).
La commande était simple, il s’agissait de jouer à être soi-même dans le cadre de la réalité (très) augmentée que proposait le scénario. Puisque l’essentiel de la société a disparu, ces rescapés étaient invités à envisager le monde dans l’optique de sa réinvention et à se projeter dans des construits sociaux utopiques. Pour cela, ils étaient conduits à réagir de façon évolutive, chacun se voyant systématiquement confronté à la dégradation alarmante de la crise, au travers de quatre étapes : depuis l’apparition des zombies au café Plùm jusqu’à la quasi disparition de l’espèce humaine où survivent reclus quelques individus, dont les interlocuteurs…
Que faire quand tout est à refaire ? Une tension progresse tout au long de cette partie documentaire. Le visionnage de l’oeuvre montre des personnes se projetant toujours plus dans la situation, a priori, farfelue. Alors que les premiers propos traduisent un amusement plaçant à distance le drame de la fiction, peu à peu, par l’installation de la durée du film, par la capacité des artistes à tenir la qualité du dialogue, les interlocuteurs finissent par dévoiler des pensées intimes, d’habitude enfouies derrière le vernis social. Ils parlent du rapport au danger, de la question de l’individu et du groupe, de la survie, de ce que pourrait être une société nouvelle, des modes de consommation, de l’échelle locale dans l’économie… Embarqué par le vertige de ces paroles, le spectateur assiste à un objet dans lequel la fiction happe le réel avec toujours plus de force au fur et à mesure de la progression des entretiens. Avec une réelle émotion, il entre en intimité avec des personnes qui portent la responsabilité de penser le monde autrement, peut-être pour lui-même… Il faut voir les deux adolescents « rescapés » se regarder timidement et comprendre avec trouble, « devant le spectateur », qu’ils devront donner suite à la vie.
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Comme souvent avec le collectif Ding, ce projet de film est pour beaucoup un dispositif reposant sur des enjeux contextuels. Ils aiment intégrer des communautés autres, aussi bien en France qu’en Indonésie, territoire lointain où ils travaillent fréquemment. Ils puisent dans les récits entendus et tirent parti des compétences offertes par les personnes rencontrées.
À Lautrec, c’est la qualité relationnelle qu’ils savent instaurer qui leur a permis de travailler de façon si rapide : la réalisation et le montage d’Une nuit à Lautrec ont seulement duré 10 jours.
Lyn Nekorimaté et Jean-Paul Labro aiment aussi capter la fragilité de ce qui s’invente sur le vif. Ils travaillent quelque chose qui pourrait se qualifier de « réalisation embarquée » ou de film de résidence. À l’intérieur d’un cadre qu’ils rendent intangible, ils ont une vraie capacité à rendre flexibles, ouverts et participatifs des processus de réalisation, pourtant complexes, qui chez d’autres artistes seraient totalement verrouillés.
La fabrication d’une oeuvre est pour eux un espace d’échange, un contexte pour « rapprendre à voir le monde et à rencontrer l’homme lui-même » (Merleau-Ponty). Si le montage du film montré à Lautrec est conduit à être modifié en raison de contraintes connexes liées au temps d’exposition du musée, la première forme retenue, longue, était certainement la plus juste au regard de la présence des artistes en résidence et de la générosité qu’elle a enclenchée. Où situer les limites de la création lorsque l’art et la vie se conjuguent aussi justement ?
Paul de Sorbier
Commissariat
Commissaire général : Patrick Tarres
Commissaires invités : William Gourdin assistant de direction Frac Midi-Pyrénées, chef de projet d’exposition et de diffusion en Région, et Paul de Sorbier directeur de la Maison Salvan à Labège.
Les artistes à Lautrec
Julien Salaud, Pierre-Laurent Cassière, Nicolas Fenouillat, Denise Bresciani, Agnès Rosse, Suzy Lelièvre, Le collectif IPN, Collectif Ding, Benedetto Bufalino, Linda Sanchez.
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