Patrick Tarres | Plastic Queer

Plastic Queer

par Patrick Tarres

Héritière du féminisme, la théorie queer s’oppose à l’hétéro-sexisme et plus généralement à toute tentative de catégorisation du genre, des sentiments amoureux et/ou de la sexualité.
Le mouvement éponyme, né aux États-Unis dans les années 80, regroupe des gays, des lesbiennes, des transsexuels, des bisexuels, des travestis, des transgenres…, tous ceux qui ne correspondent pas à la conception morale américaine du monde de la famille chrétienne et hétérosexuelle.

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La plasticité du genre n’a rien à envier à celle de l’art, qui n’a lui-même aucun problème à assumer le trouble, la confusion, la perturbation ou la transgression occasionnés par la transformation des formes et de la pensée. De l’androgynie chère à l’idéal antique, à Marcel Duchamp (1) travesti en une Madame Rrose Sélavy, personnage féminin créé et incarné par l’artiste, la représentation du corps et des pratiques sexuelles traverse l’histoire de l’art en une métamorphose permanente, faite d’allers-retours entre progrès et régressions de la doxa. Les artistes d’aujourd’hui semblent, eux, vouloir nous montrer un sexe dégenré, déconstruit, politique et culturel, loin de tout fantasme de provocation, mais plutôt, comme l’écrit Paul Ardenne (2) à propos du travail de l’artiste Aurélie Dubois, « pour nous pacifier, quoique sans ménagement ». Ces deux dernières années ont été marquées par une opposition très forte au mariage homosexuel comme à l’interrogation sur les stéréotypes à l’école. Nonobstant les tensions autour de l’affirmation de l’égalité des personnes, c’est avec calme et plasticité que cette 16e édition de Des artistes chez l’habitant souhaite questionner la notion de genre et l’usage que nous pouvons en faire dans d’autres champs en fertilisant de nouveaux possibles, comme l’ouverture à un autre, un soi non totalitaire, ou la possibilité d’une mutation de notre pensée binaire, vers ce que Friedrich Nietzsche (3) décrit comme « la merveilleuse richesse des types, l’exubérance dans la variété et dans la profusion des formes ». Au moment où je me penche sur l’édition du catalogue de Plastic Queer, une tuerie
homophobe et fanatique vient de frapper la communauté LGBT à Orlando aux États-Unis. C’est habité par une grande compassion pour les victimes directes et indirectes de ce drame que je reviens sur ce que fut cette expérience artistique et humaine sensée, par le prisme de l’art, ouvrir nos esprits parfois obtus à la pensée de Nietzsche précitée dans mon préambule.
C’est bien loin de cette tension dramatique que Karine Mathieu, Magali Gentet, mes deux co-commissaires, et moi-même, nous lancions dans une programmation sensée questionner le sujet des genres, des identités et des libertés (le pluriel seyant aux trois mots). Ni présupposé ni postulat ; le choix de mes deux invitées pour composer ce commissariat à trois se voulait plastique voire élastique. Je ne me posais donc pas la question de leurs liens ou affinités avec la communauté LGBT, afin d’éviter les pièges d’un propos monolithique de forme propagandiste. À l’instar de mes deux complices, certains artistes eurent quelques difficultés à considérer cette invitation comme évidente. D’autres furent ravis de l’opportunité qui leur permettrait de mettre en oeuvre, sans détours, leur pratique d’un art engagé. D’aucuns, peut-être personnellement concernés, n’en firent pas plus étalage qu’à leur habitude. Comme chaque année depuis le millénium, dix artistes ont répondu favorablement à cette proposition singulière ; ils se sont immiscés dans la sphère privée de leurs hôtes pour y réaliser un projet artistique spécifiquement conçu en lien avec la thématique, leur lieu d’accueil et ses habitants. Au cours des ans, certaines oeuvres pérennes produites dans ce contexte sont entrées dans la collection du FRAC Midi-Pyrénées, d’autres ont été conservées ou acquises par des habitants de Fiac, de Lautrec ou d’ailleurs, mais aucune trace de l’évènement n’avait jusqu’ici pris place sur l’espace public. Avec Plastic Queer, c’est chose faite. En effet, lors d’une performance pensée et mise en action par Pascal Lièvre, la place du village s’est vue rebaptisée Place Monique Wittig (4) le temps du festival. Sophie Gilbert, Maire de Fiac, a participé à la cérémonie fictive en écharpe tricolore et son discours s’est achevé par une promesse : l’élue s’engageait à baptiser une nouvelle rue de la commune du nom de cette militante féministe très radicale et ce de façon pérenne.

Je viens d’apprendre que le conseil municipal a validé ce choix et que Fiac sera donc le premier et le seul endroit au monde à rendre hommage à cette femme romancière et théoricienne française dont l’oeuvre a marqué le mouvement féministe et les théories de dépassement du genre.
Pascal Lièvre se joint à moi pour remercier et féliciter Madame le Maire de Fiac et son conseil municipal.

Patrick Tarres est directeur artistique de l’Afiac et commissaire des expositions

(1) Marcel Duchamp est né à Blainville-Crevon (Seine-Maritime), le 28 juillet 1887 et mort à Neuillysur-Seine, le 2 octobre 1968. C’est un peintre, plasticien, homme de lettres français, naturalisé américain en 1955. Depuis les années 1960, il est considéré par nombre d’historiens de l’art et de critiques comme l’artiste le plus important du xxe siècle.
Déjà, André Breton le qualifiait d’homme le plus intelligent du siècle. Notamment grâce à son invention des ready-made, son travail et son attitude artistique continuent d’exercer une influence majeure sur les différents courants de l’art contemporain.
(2) Paul Ardenne est né le 4 octobre 1956, il est curateur, historien de l’art contemporain (Art, le présent,2009), écrivain (Sans visage, 2012 ; Comment je suis oiseau, 2014), universitaire (Faculté des Arts, Amiens) et collaborateur, entre autres, des revues Art press et Archistorm, Paul Ardenne est l’auteur de plusieurs ouvrages ayant trait à l’esthétique actuelle. Dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme, Paul Ardenne est l’auteur de plusieurs monographies et études.
(3) Friedrich Wilhelm Nietzsche est un philologue et poète allemand né le 15 octobre 1844 à Röcken, en Prusse, et mort le 25 août 1900 à Weimar, en Allemagne. Peu reconnu de son vivant, son influence a été et demeure importante sur la philosophie contemporaine de tendance continentale, notamment l’existentialisme et la philosophie postmoderne.
(4) Monique Wittig est née le 13 juillet 1935 à Dannemarie dans le Haut-Rhin, et morte le 3 janvier 2003 à Tucson (Arizona). En 1964, son premier roman, L’Opoponax, considéré comme un texte d’avant-garde sur les questions du genre, reçoit le prix Médicis, avec le soutien de l’écrivain Marguerite Duras qui en dit : “C’est à peu près surement le premier livre moderne qui ait été fait sur l’enfance… C’est un livre à la fois admirable et très important parce qu’il est régi par une règle de fer, celle de n’utiliser qu’un matériau descriptif pur, et qu’un outil, le langage objectif pur… Un chef d’oeuvre.”

 


Commissariat général : Patrick Tarres
Commissaires invités : Karine Mathieu, Chef de projet d’exposition et de diffusion en région / les Abattoirs / Frac Midi-Pyrénées et Magali Gentet, directrice et commissaire des expositions du Parvis, centre d’art contemporain

Les artistes

Anna Burlet, Hélène Mourrier, Tony Regazzoni, Evor, Jean Biche, Pascal Lièvre, Romuald Dumas-Jandolo, Red Bind, Delphine Balley