Depuis avril 2022, l’artiste DDigt a été invité sur un dispositif de résidence inédit à L’Afiac. En effet, l’artiste intervient dans des espaces souvent délaissés par la création contemporaine. Ici, il est omniprésent, s’immisce dans les moindres coins et recoins de la société … aussi peut être l’avez vous croisé au détour d’une rue ou chez votre boucher. Dans sa démarche, il travaille de Fiac vers ailleurs, et d’ailleurs vers Fiac : l’artiste se dématérialise pour révéler le territoire à lui même.

La plupart de ses interventions/ sorties réalisées par DDigt au cours de cette résidence sont à découvrir sur le serveur suivant : https://e1.pcloud.link/publink/show?code=kZLTuzZ68kWEg55D35EKb7TnliCLQvpRMYk

Note d’intention

L’Afiac m’a proposé cet hiver une carte blanche conçue pour croiser l’ailleurs et Fiac, Fiac et l’ailleurs, en marge du festival des artistes chez l’habitant : une initiative hors les murs, hors cadre, hors géographie, où tout est à inventer …
Initialement imaginée on line par l’Afiac, c’est au fil de la réflexion vers une direction personnelle, qui est déjà une interprétation en soi, que j’ai imaginé un art dématérialisé et démultiplié: en prenant ces deux dimensions pour moi-même ! C’est moi qui me démultiplie et me dématérialise, dans une course folle pour prendre de vitesse les électrons ! Ce qui se charge de communication aujourd’hui, c’est le sac qu’on boucle à la va-vite pour fuir avant l’écroulement des murs.
Ainsi est né And the winner is … : un projet articulé autour d’une trentaine de « sorties », tantôt loin de Fiac, tantôt plus près, tantôt seul tantôt en équipe,destinées chacune à aller rencontrer le public sur son propre terrain, pour autant de confrontations dont l’artiste devrait sortir victorieux en restant sur son quant-à soi. 
Car l’adversité extrême et le régime de restrictions dans lesquels le monde et tous les esprits sont désormais plongés ne font pas peur à l’artiste, constituent son environnement voire sa nourriture quotidien.ne, et nul doute que c’est donc à la toute fin … lui qui gagne ! (ce dont de toute évidence personne n’a rien n’a fiche mais qui pour nous ne manque pas de sel : il aura fallu que le monde s’écroule pour voir que l’artiste est fort, avec partout des initiatives, qui d’un théâtre, qui d’un collectif, où, de guerre en tragédie, les artistes se montrent super-adaptés sous les bombes, pour eux-mêmes et surtout pour les autres !)

DDigt

Un mot.

L’Afiac s’est spécialisée en deux décennies à proposer aux artistes contemporains des résidences hors lieux dédiés. Des projets plus étonnants les uns que les autres, énergisés par un singulier festival : « des artistes chez l’habitant » qui a su drainer un public féru d’expérimentations et à l’exigence élevée, toujours présent physiquement.
Après deux années de restrictions, en suivant le constat que les modes de vie et notamment la culture du travail sont en train de changer, qu’Internet a transformé les modes de communication de part le monde.
Pour répondre aux confinements successifs, à la sédentarisation des populations, du travail à domicile, et toucher ce public physiquement distant ou « reclus » s’est posée la question de pourquoi les artistes aussi ne pourraient-ils pas eux aussi travailler en télétravail ?
C’est ainsi qu’est née le projet de résidence Hors les murs/ Production digitale; une résidence à distance … depuis Fiac vers ailleurs, depuis ailleurs vers Fiac, dans le but de produire une œuvre/ des oeuvres « online » qui pourra/pourront se matérialiser simultanément en différents endroit avec à disposition des espaces relais chez les partenaires, internet, la «poste expo» de Fiac.
Ce projet ne s’inscrit pas du tout dans la lignée des NFT’s mais plutôt dans l’optique de créer des oeuvres qui pourraient se rencontrer « à domicile » avec ces moyens et ces médiums « locaux ». Je me souviens avoir fait l’expérience dans les années 2000 d’une œuvre de François Morellet depuis le PC familial, cette œuvre (dé)matérialisée en un site internet permettait de générer une œuvre à soi, depuis chez soi selon un algorithme défini par l’artiste, apparaissait alors de cette l’interaction digitale une œuvre unique et spécialement conçu pour moi.
Dans le souci d’être attentif aux besoins des plasticiens ce dispositif se doit également d’être à la mesure des artistes, cela étant rendu possible grâce à l’écriture, co-écriture du projet avec le commissaire. Un dispositif à la dimension du plasticien, comme un scénario, qui s’amène et modifie ses frontières au gré du temps et de la pensée en mouvement. Cette résidence n’appelle pas à une obligation de résultat, elle ne convoque pas les
gens au « grand final », elle ne suit pas les étapes de la fiche technique du projet, rien de tout ça. En effet à l’image du web et des médias, la voici interrompue par l’actualité, perturbée par la pénurie, elle s’immisce
en suivant les courants de communication parallèle, tous les réseaux sont bons à prendre et à exploiter … plus qu’un scénario, une stratégie.

De par l’échec …
J’ai proposé à DDigt de se joindre à L’Afiac pour la première édition de ce programme.
Je me souvenais une de ses oeuvres, à Lieu Commun, Toulouse, composée de plusieurs tours de PC qui connectées en série alternativement par un câble jack depuis la sortie audio de l’une vers l’entrée audio de
la suivante produisaient de concert « un chant de baleine ». La portée poétique de l’oeuvre alors encore à l’étude, liée au détournement de ces instruments m’avait troublé. Comment l’ordinateur et les défauts de
ses circuits imprimés, poussières, etc … pouvaient devenir alors une matière vivante?
Le projet Afiac est fondamentalement lié au territoire, à son territoire : un effet institué par le système de financement public qui favorise notre action à se répandre, s’entretenir selon un champ propre et des limites géographiques. Là où les artistes sont sensés nous ouvrir à des perspectives et à des champs de pensée élargis, le cadre de l’institution vient parfois circonscrire les projets. Comment alors que les enjeux de la mondialisation tendent à donner à toute chose une dimension « internationale », la production artistique se retrouverai contrainte par le cadre institutionnel local ? Interroger les artistes et leur rapport à ce « nouveau » monde apparaît pour l’association d’art contemporain de Fiac comme prioritaire. J’aimerai pour ôter ce cadre demander aux artistes « Que feriez vous aujourd’hui avec 1000€ ? Cette question nourrissait jusqu’alors l’espoir secret qu’un artiste invité sur ce dispositif « se barre au Mexique pour une résidence distancielle (avec le fric) ».

Pouvoir s’exprimer ici sur des heurts ou des questionnements
D’après DDigt,
La position des artistes serait de moins en moins visible et intégrée dans un système qui privilégie l’efficacité et le rendement à la poésie et à la pulsion. Ils seraient stigmatisés, méprisés, jalousés …
Comment faire partie de la société, retourner à l’anonymat et simplement faire son travail ?
L’art peut-il s’inscrire dans le quotidien? A t’on besoin que cela convoque? ne serait il pas possible que l’art se rencontre plutôt au détour d’une rue, en allant chez son boucher ? Faire partie de la vie normale, intégrer la société ?
Autant de questions que m’a posé DDigt, le jour où il m’a présenté son projet « And the winner is … » .

… Et puis la guerre a éclaté
Des sorties, des interventions, … en mission « l’artiste en CDD » vient réparer les fractures de la société, des gens autour de nous.
( Lors de notre premier rendez-vous à Fiac, la guerre en Ukraine est déclenchée depuis quelques jours )
L’artiste par son action semblable au « happening » dans l’espace public pourrait se retrouver en situation de danger et pourtant il me dit qu’il se sent fort, un monde s’est réveillé, nous échangeons sur ces citoyens de part le monde qui luttent et qui résistent : en Chine, un jeune artiste fixe de son regard les caméras de surveillance de l’espace public … inlassablement, jour après jour suivi par cette femme en Russie qui porte à bout de bras une pancarte blanche sous les yeux du Kremlin.
L’artiste intervient lui aussi, comme toujours en temps de guerre, par tous les moyens à sa disposition, ou ceux qu’il pourra prendre, il s’immisce par tous les canaux.
Ces actions du quotidien seront relayées par les réseaux habituels : la presse, la radio et la télévision locale … pas de communication particulière « en plus »; a t’on besoin d’un carton d’invitation pour être invité chez soi ?
Avec en lui le désir toujours de s’insérer au plus proche du réel. J’ai mis en garde Ddigt face aux difficultés auxquelles probablement il s’exposerait dans des espaces non dédiés, il a invoqué le quant-à-soi garantissant qu’il
fallait prendre place : comme si le temps était venu.
Cette posture interroge la distance qui existe entre le peuple et l’art dans sa représentation.
Le rôle du commissaire paraît ici primordial, n’est ce du rôle de l’institution de se démarquer par sa présence dans le rapport à ce qui nous entoure, pour que le travail de l’artiste puisse prendre le pas et peut
être prendre racine … C’est à nous de l’attraper.
Mais peut être ne sommes nous pas éduqués à ça.

Félix Morel

Le 23 Juin 2022, à partir de 16h30 sera proposée une énième sortie intitulée Kermesse à Fiac, elle aura lieu au café de Fiac. Tel Denis Lavant dans Holy Motors de Leos Carax « prêt à enfiler tous les costumes ! », DDigt profite une fois de plus de cet instant pour incarner tous les rôles possibles et inimaginables au cours de cette soirée de performance.

Article publié par RADIOM, la radio étudiante de Castres-Mazamet :

https://www.radiom.fr/blog/7027-ddigt-et-lafiac-chez-les-bougnettes.html

Pour plus d’informations sur le travail de DDigt :

http://ddigt.e-monsite.com/