De l’importance du choix en art, comme de l’inéluctable responsabilité qui en découle, naît l’idée de cette non-thématique proposée davantage aux commissaires de VOIRE qu’aux artistes invités par ces derniers. Il est donc important de préciser ce qu’est un commissaire d’exposition, autrement nommé curateur, avant d’avancer dans la présentation de cette treizième édition.
« Le travail d’un commissaire d’art contemporain consiste à définir le concept de l’exposition, choisir les artistes et assurer le suivi de la production, l’accrochage et l’installation des oeuvres. C’est donc un travail en partie abstrait de conceptualisation, un travail esthétique et social de sélection et un travail artistique d’installation. Viennent ensuite les tâches de conception des outils de communication et de rédaction ou de direction des publications de l’exposition. » (1)
Produire et communiquer une pensée en opérant un rapprochement subjectif entre des oeuvres, tout en respectant leur spécificité et leur singularité, est donc le modus operandi du curatoring en art contemporain. Cette ‘grammaire curatoriale’ agit comme celle qui, en écriture, consiste à juxtaposer des mots pour constituer une phrase faisant sens. Si cette pratique confère un statut d’auteur aux commissaires d’exposition, il n’en demeure pas moins que l’oeuvre d’art s’autonomise comme objet de pensée dès sa conception.
C’est donc en organisant la mise en relation de préoccupations multiples et diverses que s’écrivent les expositions d’art contemporain. À la charnière de ce concept d’exposition et de ses variantes, il est une responsabilité majeure : introduire l’oeuvre d’art en société. Telles sont donc, hâtivement résumées, les conventions définies par les curateurs eux-mêmes, lorsqu’il s’agit de préciser les modalités de leurs interventions. Une veille artistique sans lacune, face à la quantité et la diversité des informations afférentes au champ des arts plastiques, relève de l’impossible. Les commissaires sont donc amenés à opérer des choix selon leurs sensibilités en s’appuyant sur des critères d’excellence que le monde de l’art, dans son ensemble et dans sa complexité, transformera peut-être en critère de reconnaissance, si ce n’est déjà fait.
L’événement annuel + si affinité consiste en une résidence d’artistes en création dans les espaces privés d’habitants de communes rurales sur le territoire de la Communauté des Communes du Pays d’Agout dans le Tarn. Les oeuvres produites dans ce cadre sont montrées au public pendant trois jours sur leurs lieux de création, en présence des artistes et de leurs hôtes, au domicile de ces derniers. Nous sommes donc en présence d’autant de lieux d’exposition que d’artistes invités. Il va de soi que ces endroits n’ont rien en commun avec les white cubes auxquels une nouvelle virginité est restituée entre chaque proposition artistique : ils sont habités.
Après avoir articulé les précédentes éditions autour de propositions réflexives, confrontant le cognitif au fantasme, au magique et au mythe, avec la complicité de Pascal Pique, commissaire de ces expositions, « Anarchisations » a permis d’explorer, en juin 2011, les relations entre l’art et le politique sous le commissariat que je partageais avec Jackie-Ruth Meyer et Pascal Pique.
Christian Ruby, philosophe invité lors de cette dernière exposition, a précisé ce qu’il avait observé durant les trois jours de cet événement dans un texte qu’il intitule « Anarchisation et /ou émancipation du spectateur ? » figurant dans le catalogue 2011.
«L’AFIAC s’acharne à rebondir sur ce qui constitue le fond de trop nombreuses manifestations culturelles : l’instrumentalisation des oeuvres d’art. La conviction d’avoir à mettre l’art et la culture au service de valeurs d’Etat, et à placer la délectation artistique en moteur de la promotion d’une utilité civique quelconque, le plus souvent conditionnée par le spectaculaire, ne cesse d’assigner, partout, à l’art la vocation de graver dans le coeur des femmes et des hommes ces valeurs spécifiques, et veut sceller l’empreinte de la société sur les esprits. En contrepoint, l’AFIAC ne se contente pas d’occuper des lieux publics, elle vise à donner corps à un espace et une parole publics. » (2)
Cette année, VOIRE tend à recentrer les choix artistiques sur la spécificité inhérente à la forme de monstration proposée ici. Encouragé par le travail de Christian Ruby, il s’agit donc d’aller plus loin vers l’émancipation et /ou l’anarchisation.
Pour ce faire, j’invite deux commissaires, Manuel Pomar, directeur du Lieu Commun à Toulouse et Yvan Poulain, directeur du musée Calbet à Grisolles, à n’envisager comme unique contrainte que l’embarras du choix, dix artistes pour dix expositions, hors sujétion aux règles de la ‘grammaire curatoriale’.
Les artistes auront quant à eux accepté l’enjeu, voire le jeu d’une expérience de création et d’exposition, en marge des pratiques conventionnelles.
Patrick Tarres
(1) Rapport d’enquête remis à l’association Commissaires d’exposition associés. Laurent Jeanpierre, Université Paris 8-Saint-Denis. Séverine Sofio, Université Paris 1.
(2) Christian Ruby, Anarchisation et /ou émancipation du spectateur ? Catalogue « Anarchisations » Fiac 2011.
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Commissaires :
Patrick Tarres : Directeur Artistique de l’AFIAC,
Manuel Pomar : Directeur du Lieu Commun à Toulouse,
Yvan Poulain : Directeur du musée Calbet à Grisolles en partenariat avec les Abattoirs, FRAC Midi-Pyrénées.
Les artistes : David Mickael Clark, IKHÉA©SERVICE N°58, Marie Aerts, Jeremy Laffon, Marion Pinaffo, Marie-Johanna Cornut et Marie Sirgue, Robert Milin, Rodolphe Huguet, Régis Perray, LASSIE / ARLT
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