David Mickael Clarke
Saint-Paul-Cap-de-Joux 2012 – + si affinité
VOIRe – art et embarras du choix
Un événement de l’AFIAC
Commissaire d’exposition : Patrick Tarres, Manuel Pomar, Yvan Poulain
L’artiste était reçu chez Alice et Michel Seon.
« The Flying Black Cow Club (version # 01) / Flying Black Cows »
« Le grand boullier / Jeu de quilles /
Portrait d’une machine # 01»
J’ai récemment découvert le projet pour la vie rurale mené par Le Corbusier dans les années 30. Le projet a été et est toujours radical. L’ancien village de Piacé (Sarthe) aurait été rasé et remplacé par un village coopératif : Piacé-le-radieux. Dans le village, Le Corbusier a pensé à un club, un lieu de rencontre et d’échange, un lieu où les paysans puissent participer aux activités culturelles ou sportives, ou tout simplement partager un verre et dialoguer. Ce serait grâce à cet échange d’idées, que le village pourrait évoluer. Selon Le Corbusier, le club pourrait être perçu comme le cerveau du village. Par la suite, j’ai décidé de m’interroger sur cette idée d’un club.
Un jour, en traversant la Mayenne, j’ai croisé une manifestation agricole remarquable. Une usine avait pollué le bocage. Le lait produit par les deux troupeaux de vaches est devenu imbuvable. Ainsi les vaches ont été abattues. Les paysans ont exprimé leur malheur d’une manière très sculpturale. Six potences ont été érigées et des têtes de vaches, découpées dans du carton noir, ont été pendues. Cela a été un geste fort. Comme des cerfs-volants, les têtes se sont envolées dans le vent. En réaction automatique, j’ai prononcé à haute voix, « Wow ! Flying Black Cows ! » et par la suite, « Flying Black Cows … ceci pourrait être le nom de mon club ! »
Dans le Tarn, Alice et Michel Séon m’ont témoigné de leur vie dans l’agriculture. Ceci a été un long parcours à partir du remaniement de la plaine, à travers une époque d’exploitation intensive, afin d’arriver à un grand projet de développement durable. Aujourd’hui, ils sont à la retraite et leurs enfants ont repris la ferme. Pourtant, ils ne sont pas pour autant désengagés. Alice et Michel Séon ont vécu leur vie professionnelle avec passion. Ils continuent d’être passionnés par les challenges qui confrontent les paysans d’aujourd’hui et qui confronteront les paysans de demain. Ce sont des gens très responsables et ils tiennent à laisser la terre dans la même condition qu’ils l’ont trouvée.
J’ai décidé de commencer mon histoire des « Flying Black Cows » chez eux, d’une manière idyllique, bucolique, optimiste… mais en même temps, surréelle… comme un tableau de Constable repris par Magritte. Fat and happy, flying cows !
Lorsque j’ai fait un tour de la ferme, je suis tombé sur un énorme tas de pneus. Je me suis dit que je pourrais m’en servir pour faire une sculpture, mais quand j’ai suggéré l’idée à Alice, elle avait l’air troublée. C’était la génération d’Alice et Michel qui a amené les pneus aux fermes. Ils s’en sont servis pour la construction des silos.
Aujourd’hui, les jeunes agriculteurs utilisent d’autres méthodes, ainsi les tas de pneus pourrissent, polluent et gâchent le paysage. Alice et ses camarades ont créé une association afin d’étudier le problème avec l’espoir de pouvoir assurer le recyclage. Pour commencer, ils ont recensé tous les tas de pneus usés qui dorment dans la communauté de communes. À cette date, ils ont trouvé seize mille huit cent quatre-vingt-quatorze pneus.
Mon père vient d’Hong Kong. Un souvenir d’enfance : mon père faisant ses calculs sur son boulier chinois. Le boulier chinois est une machine très ancienne. Il y a très peu d’écart entre sa forme et sa fonction. La fonction est d’assister l’homme à répondre à ses challenges. J’ai songé à créer un boulier chinois géant et écrire cet énorme chiffre dessus.
Retournons au projet de Le Corbusier et à son idée d’installer un club au coeur du village coopératif. C’est assez clair que pour lui, le club aurait été beaucoup plus qu’un simple équipement culturel. Plutôt, il a vu le club comme un outil de travail. J’ai commencé à réfléchir sur les différents prétextes de rencontres post-travail qui existent dans le milieu rural en France. L’apéritif et le jeu de pétanque sont sûrement les plus populaires. Depuis Fluxus, l’art est souvent perçu comme lieu de rencontre, mais pourrait-t-on penser le jeu de pétanque comme outil de travail ? J’ai décidé d’élaborer un projet hybride… une installation participative, un lieu de rencontre… ou comme Daniel Buren aime dire… un outil visuel. J’ai combiné le jeu de pétanque français avec le jeu de quilles qui se trouve souvent à l’arrière des « pubs » en Angleterre. J’ai basé la forme de mes quilles sur le boulier chinois. Chaque quille représente un chiffre différent, de un à dix.
Alice et Michel sont originaires de la Loire, près de St-Étienne. Le père d’Alice a été champion de boules lyonnaises. Elle nous a permis d’utiliser ses boules lors de la manifestation. Les quilles ont été réalisées par Vincent Verlinde, un artisan local, qui a lui-même accueilli un artiste il y a un an, lors de la précédente manifestation.
Avec mon intérêt renouvelé pour les jeux de « bowling », j’ai décidé de rendre visite et de découvrir le bowling du Mans. J’ai été accueilli par Frédéric Le Terrec. C’est son père qui a créé le bowling à l’époque post-guerre. À l’arrière des pistes, tournent toujours des vieilles machines qui trient les boules et les quilles. Elles font « clic », elles font « clac », elles ronronnent, elles bourdonnent. Elles sont arrivées en France, avec les films westerns, Elvis Presley et les premiers tracteurs. Ainsi au coeur d’une ville industrielle comme Le Mans, je me suis trouvé en train de songer à nouveau à la France rurale, le remembrement, l’industrialisation du bocage et l’agriculture intensive… ce à quoi Alice et Michel ont renoncé. Il m’a semblé que j’ai bouclé la boucle.
Pour mon projet, pour AFIAC 2012 à St-Paul-Cap-de-Joux, j’ai essayé de faire résonner toutes ces histoires qui sont venues à ma portée par les aléas de la vie.
David Michaël Clarke
Traces | vidéo
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Commissaires :
Patrick Tarres : Directeur Artistique de l’AFIAC,
Manuel Pomar : Directeur du Lieu Commun à Toulouse,
Yvan Poulain : Directeur du musée Calbet à Grisolles en partenariat avec les Abattoirs, FRAC Midi-Pyrénées.
Les artistes : David Mickael Clarke, IKHÉA©SERVICE N°58, Marie Aerts, Jeremy Laffon, Marion Pinaffo, Marie-Johanna Cornut et Marie Sirgue, Robert Milin, Rodolphe Huguet, Régis Perray, LASSIE / ARLT
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