Laurent MONTARON – + si affinité 2005

Laurent Montaron

Fiac  2005  –  + si affinité

Un événement de l’AFIAC

Commissaire d’exposition : Pascal Pique

Directeur artistique : Patrick Tarres

L’artiste était reçu chez Rodolphe Collange

« “On the surface everything seems fine, underneath…there are many emotions that run deep in you »

Installation sonore

Laurent Montaron + si affinité 2005 Fiac (Tarn)

Bonjour Patrick,
Nous avons longuement discuté avec Laurent et n’avons rien décidé… ou plutôt, avons décidé de ne rien faire… On ne voit pas comment retranscrire une correspondance que nous n’avons pas vraiment eue, et l’idée même ne nous correspond pas, nous n’en avons pas trouvé d’autres, il est à New York, je suis à Bruxelles, nous aurons une page blanche…
Bises.
Rodolphe

On the surface everything seems fine, underneath… there are many emotions that run deep in you, 2005.
Installation sonore
“On the surface everything seems fine, underneath… there are many emotions that run deep in you” est une installation sonore au coeur de la forêt, réalisée, dans sa première occurrence, à Fiac, un village du Tarn situé près de Toulouse.
Le public était invité à pénétrer un sous-bois dans lequel l’oeuvre était diffusée, modifiant imperceptiblement l’atmosphère de la forêt.
Le volume sonore de l’installation accompagnant son parcours augmentait au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans le sous-bois.
Le chant des oiseaux, anormalement présent, avait été enregistré à une autre heure du jour puis rediffusé, le réalisme de la diffusion amenant les oiseaux à répondre à leur propre chant. Ce décalage ménageait une ambiance étrange où, paradoxalement, la forte présence de la nature frôlait le surnaturel.
Une note continue située dans le bas du spectre sonore, diffusée tel un bourdon, faisait vibrer les broussailles et les feuilles des buissons qui obstruaient peu à peu le chemin. Pourtant quasi inaudible, elle instaurait une tension pesante en recouvrant presque le champ de perception auditif. Au loin, la mélodie aiguë de violons se confondait avec la rumeur de la campagne environnante.
Le promeneur évoluait dans cet environnement sans pouvoir distinguer les sons artificiels des sons naturels, jusqu’à ce que la diffusion s’arrête brutalement, au bout de cinq minutes environ. Cette disparition abrupte, en libérant le champ auditif, provoquait une aspiration violente du bruit dans le silence, comme si le vide se faisait à l’intérieur du sous-bois. Le promeneur se rendait alors compte que ce qu’il entendait, quelques instants auparavant, était en fait un enregistrement.
Au coeur d’un silence presque assourdissant, il pouvait alors de nouveau percevoir l’improbable retour aux sonorités habituelles de la forêt, avant que la diffusion ne reprenne doucement. L’étrange sentiment d’oppression qu’il éprouvait auparavant trouvait alors son sens.
La forêt, motif récurrent dans le travail de Laurent Montaron, de La Sorcière ne vient pas à Forest of Sherwood et Viking’s Grave, est le lieu même du merveilleux, dans la tradition des contes et légendes. Ici, l’artiste parvient à la rendre inquiétante par l’adjonction d’un artifice, à la manière de bruitages cinématographiques.
Par cette post-synchronisation poétique, il crée un environnement à l’intérieur duquel l’impalpable d’une sensation acquiert la corporéité d’une expérience physique.
Marie Cantos

 

Nicole TRAN BA VANG – + si affinité 2005

Nicole Tran Ba Vang

Fiac  2005  –  + si affinité

Un événement de l’AFIAC

Commissaire d’exposition : Pascal Pique

Directeur artistique : Patrick Tarres

L’artiste était reçu chez Nelly et Jean-Pierre Boyer

« … donc je suis »

Installation vidéo, 2005 / 4 DVD intallés sur 4 colonnes disposées en carré / Durée : 3 mn

Nicole Tran Ba Vang + si affinité 2005 Fiac (Tarn)

Chère Nicole,
L’occasion nous est donnée d’entretenir un petit courrier pour reparler de ce qui furent ces journées de l’AFIAC. Je ne t’écris pas à l’ombre des acacias, mais devant mon feu de cheminée !
On peut dire que c’est à l’ombre des acacias que se sont déroulées ces journées entre repas, discussions, réception des visiteurs et « siestes flashs » Je garde de toi le souvenir d’une Parisienne arrivant avec son ordinateur et me (nous ??) faisant oublier vaches, tracteur, bottes de balles, que tu as appelés « rôtis ficelés » en arrivant… pour nous proposer ton travail sur l’apparence et l’identité… Tout un programme…
Je t’embrasse et je laisse ma plume à Jean-Pierre…
Nelly
Chère Nicole,
Tout d’abord, meilleurs voeux de bonheur et de santé.
Ton travail ne nous a pas laissés indifférents ; et toi, quel souvenir gardes-tu de l’AFIAC et des Fiacois ?
A bientôt
Jean-Pierre

Nicole Tran Ba Vang + si affinité 2005 Fiac (Tarn)

Paris, le 10 février 2006.
Chers Nelly et Jean-Pierre,
Ce n’est pas non plus à l’ombre des acacias, ni d’ailleurs devant un feu de cheminée que je n’ai pas que je vous écris, mais dans mon atelier, allongée sur le canapé avec, en guise de plume, mon ordinateur posé sur les cuisses pour me tenir chaud. C’est fou ce que les ordinateurs peuvent faire de nos jours. Et puis, je tiens à respecter la description que vous faites de moi !
Le canapé me permet de parer aux éventuelles attaques de « sommeils flashs » sans risque et concernant les rôtis ficelés comme des bottes de balles (ou vice versa), c’est sans doute votre métier qui m’a fait les voir ainsi…
En vous lisant, une chose incroyable m’est apparue : vous avez la même écriture ! Sans doute parce que vous portez le même nom ? Le hasard a fait que le modèle de ma photo utilisée pour l’affiche de l’AFIAC s’appelle aussi Boyer : Anne-Claire Boyer. Je vais lui demander de m’écrire pour vérifier son écriture avec la vôtre pour tirer tout cela au clair. Ou bien est-ce toi, Nelly, qui a écrit ce que Jean-Pierre te dictait, ou alors as-tu écrit en te « mettant à sa place » ?
Vous voyez, c’est une obsession chez moi, on en revient toujours à la question de l’apparence et de l’identité ! D’ailleurs Jean-Pierre avoue que mon travail ne vous a pas laissé indifférent… bien sûr, puisque vous êtes pareils !
J’ai beaucoup aimé participer à l’AFIAC. Je l’ai vécue avant tout comme une aventure humaine inattendue et très enrichissante.
Lorsque Pascal Pique m’a invitée à concevoir un projet in situ à Fiac, je me suis tout d’abord demandée s’il ne s’était pas trompé de personne.
L’effet de surprise passé, ce projet m’est vite apparu comme une occasion pour vivre une expérience très libre avec quelques “figures” imposées : Nelly et Jean-Pierre Boyer.
Mais qui sont Nelly et Jean-Pierre Boyer ?

Nicole Tran Ba Vang

La question à elle seule m’intéresse. Une question à laquelle je ne me soucie pas de répondre. Qui sommes-nous ? Cette question doit rester une question à laquelle on n’arrête pas de répondre. Dès notre première rencontre, je vous ai proposé d’être acteurs de vous-mêmes. Je vous ai demandé de choisir la tenue dans laquelle vous vous sentez le mieux, celle qui vous représente le mieux. Je voulais faire une vidéo avec une unique scène.
Chacun entre dans le salon, va s’asseoir dans le grand fauteuil pour affirmer :
– Je suis Nelly Boyer.
Ou bien :
– Je suis Jean-Pierre Boyer.
La même tenue devait ensuite être endossée par le plus grand nombre de gens du village pour refaire cette même et unique scène. Chacun était tenu au secret. Personne ne devait savoir ce que j’allais leur demander de faire. J’ai effectué un montage fusionnant les différentes personnes les unes dans les autres afin d’obtenir une espèce de vertige. J’ai pensé au roman de science-fiction “Dune” de Frank Herbert où, avant qu’une Élue se transforme en une Bene Gesserit, il lui faut survivre à une épreuve extrêmement difficile. Ce passage est ritualisé par une cérémonie où elle ingère un poison violent : l’Eau de la Vie. Si elle survit, la Bene Gesserit accède à une mémoire collective interne qui remonte au début des temps humains, remontant la longue liste de ses ancêtres. Dune m’a fait découvrir la science-fiction qui m’a passionnée de nombreuses années.
C’est fou comment quelqu’un qui a horreur d’écrire se met à ne plus savoir s’arrêter !
Et vous, comment avez-vous vécu cette aventure ?
Nicole

Nicole Tran Ba Vang + si affinité 2005 Fiac (Tarn)

Delphine GIGOUX-MARTIN – + si affinité 2005

Delphine GIGOUX-MARTIN

Fiac  2005  –  + si affinité

Un événement de l’AFIAC

Commissaire d’exposition : Pascal Pique

Directeur artistique : Patrick Tarres

L’artiste était reçu chez Lila Poujade et Mathieu Lacaze

Delphine Gigoux-Martin + si affinité 2005 Fiac

 

 

 

 

 

 

 

 

Installation vidéo :

– deux échaffaudages montés sur la façade de la maison
– 7 projections vidéo de dessins animés dans les quatre salles intérieures
– un espadon et un piranha dans la pièce du Capitaine Yves, en bas à gauche
– un fou de bassan et des thons dans la cuisine, en bas à droite
– des dauphins dans la pièce de Lila, en haut à gauche
– des fous de bassan et orques dans la pièce de Mathieu, en haut à droite.
Par les quatre fenêtres de la maison, on peut apercevoir des dessins qui s’animent sur les murs intérieurs des chambres et cuisine.

D
Je suis arrivée en début de semaine, curieuse de voir l’échafaudage, dont j’avais suivi le montage à distance…
Et c’est de nuit que j’ai retrouvée la maison de mes hôtes, avec sa nouvelle façade.
J’étais enchantée.

Y
Vendredi soir. Dans le compartiment qui pue le tabac depuis que j’ai tapé une clope à 200 km/h à la fenêtre, j’essaie de me concentrer sur deux lignes de La Physique d’Aristote.
Chaque fois c’est pareil, dès que j’essaie de lire un livre, au bout de deux lignes, j’ai l’esprit qui déraille. Je pense à autre chose. Dix ans que je suis dans La Recherche du Temps Perdu, j’suis pas encore passé du côté des Guermantes. Au début je n’étais pas très emballé d’accueillir une artiste. Mathieu m’avait dit que le boulot de Delphine était chouette. J’étais sur les nerfs et j’avais les cervicales en marmelade. Arrivée en gare le Lexos – on dirait un nom d’anxiolytique ou de catastrophe chimique, c’est un peu pareil – je me rends compte que j’ai à peine lu une phrase et encore je sais plus laquelle. Et merde.
Je somnole jusqu’à la correspondance, sur le quai vide, il y a bien des piliers, mais de paroles confuses point – ça va pas mieux –, suis à St-Supplice. Mathieu m’attend à Lavaur dix minutes après mon arrivée. Je suis content de voir sa bouille.
« Ça va – Ça va pas – Tu vas voir c’est bien ce qu’elle a fait – Je suis surénervé »
Y a eu table espagnole à la maison avec les artistes, les familles, la veille.
Il me raconte, moi pas.
Le camion s’arrête sur le côté de la maison. Je descends puis je monte, je descends, je me tiens aux carreaux, je regarde, j’attends… Tout défile…
Ô flots abracadabrantesques !

Delphine Gigoux-Martin + si affinité 2005 Fiac (Tarn)

D
J’ai passé la semaine avec Mathieu et Lila, on s’est occupé de l’installation des vidéos, du jardin, des thés glacés, de l’apéritif…
Aujourd’hui c’est la journée de présentation entre familles, le troisième colocataire, Yves, dit gillou, dit le capitaine – beaucoup de surnoms pour un seul homme – doit arriver.
Mathieu va le chercher à la gare, en plein milieu de la tournée entre famille !
Va falloir s’organiser ! Je propose à Mathieu que nous présentions ensemble l’installation… il n’est pas séduit par cette idée, mais il aimerait bien que je lise la préface de Gide pour Paludes, livre dont nous avions parlé la veille. Ok, c’est bien.
Je finis la tournée des maisons +si affinité avec Jean-Michel, il m’a fait une place dans sa voiture-suffisait juste de passer la glaciaire derrière.

Y
Elle avait des chaussures pointues, je voyais que ça ou plutôt je ne voulais voir que ça – timidité maladive. Je lui avais dit bonjour entre deux portes. Pour une première rencontre, on a vu pire, mais où ? On prenait l’apéro dehors. On parle.
Le soleil ravageur donnait à la campagne (et à ma peau) une couleur de vieux chorizo, avec les chaussures pointues, la théière prenait des airs de lampe magique. Mais le génie avait dû s’évaporer de ma cafetière, j’ai pas décroché un mot à part un truc du genre “suis énervé”.

D
La journée est terminée, la soirée va commencer, et ce n’est pas une mince affaire dans le coin ! On se retrouve tous sur la place du village, on mange, on discute, et on discute – aussi – beaucoup dans le coin !

Y
On part pour Fiac. Fiac, on dirait le son d’une voile en kevlar quand elle se regonfle de vent juste après un virement de bord au près. On monte sur la colline avec son château d’eau qui pointe comme un téton. Je fume clope sur clope à l’arrière de la voiture. Ensuite, je me souviens que l’alcool est descendu comme un torrent nerveux par mon gosier.
Je tiens des propos affligeants sur la 6ème république, je danse avec un loup blanc, je finis par décider que tout le monde m’énerve (j’ai bien peur que ce fut le contraire) et m’en vais par les sentiers, bleus soirs d’été, tête nue.

Delphine Gigoux-Martin + si affinité 2005 Fiac (Tarn)

Y
Le lever fut difficile, souvenirs de la veille de la veille. Il avait fallu naviguer de ma chambre à la salle d’eau pour éviter les regards indiscrets des visiteurs sur mon corps mâtiné de dessins… animés. Le coup de vent était passé, mais une houle résiduelle me hantait le crâne et son écume me sortait désagréablement par les yeux injectés de rouge.
J’étais dans le bain, enfin ! Que d’eau ! J’ai ri.
La température, dehors, avait déjà atteint le point de fusion de la glace italienne qui alors dégouline délicieusement entre les doigts des petits enfants en pleurs. Tout le monde – c’était déjà l’agorafolie – passait ou repaissait sur l’herbe fraîchement coupée.
Je t’adressais mon plus séant bonjour – on peut se tutoyer maintenant que l’on est paisible et que l’on est plus dans le décor – comme aux restes des troupes.
Y
On a eu le samedi soir au repas de La Cellule notre première discussion construite – il devait être ni trop tôt ni trop tard – sur le rêve. Je sais depuis que la thématique de l’exposition t’avais beaucoup plue. Je te racontais que je pensais que l’on ne rêve que lorsqu’on se réveille ou lorsqu’on s’endort (mais là, j’y songe, on appelle pas ça du rêve). Et que le rêve, ce serait finalement rien qu’un vilain petit film d’un mauvais réalisateur : le conscient (y en a d’autres).
Il est en veille quand on dort et l’inconscient travaille (et le conscient, à mon avis, il y comprend pas grand chose à l’inconscient, et subséquemment, moi non plus). Au moment de passage vers la phase éveillée, en utilisant tout ce qu’il a en mémoire et le peu qu’il arrive à capter de l’inconscient, il va nous projeter vite euf son tournage.
Même que des fois, il est tellement à la bourre, qu’il fait des grosses bourdes dans le casting : pas la bonne tête, pas le bon nom ; sans parler des décors improbables, des dialogues incompréhensibles et des acteurs détestables (ce ne sont pas les seuls).
Mais qu’importe, le but est de nous remonter des profondeurs hadales du sommeil jusqu’à la surface de son royaume d’entendement.
Ouais, bon, c’était un peu tiré par l’hameçon de la casquette du pêcheur harnaché du dimanche, mais minuit devait être passé. D’ailleurs je m’étais réveillé cette nuit-là.
Ou alors… j’ai rêvé. Tu m’avais parlé de la structure du rêve, t’en parlera mieux que moi, et je trouve que ça faisait résonance avec ton installation.

Delphine Gigoux-Martin + si affinité 2005 Fiac (Tarn)

D
Pour moi, l’installation fonctionne comme le rêve, même espace-temps. On ne peut jamais raconter son rêve. On redevient bêtement narratif, on simplifie l’histoire, en faisant glisser des actions les unes derrière les autres dans un décor. Je cherche dans l’installation une superposition des tableaux aux temps et durées différents. Les perspectives s’entremêlent, les actions sont buissonnantes : arriver à voir et vivre plusieurs pensées en même temps.
La disposition d’une installation ressemble en cela à celle du rêve.
Tout est dans un espace de profondeur aux perspectives infinies, le concentré de sensations et pensées nous submergent ; notre esprit rebondit, passe d’un élément à un autre, fait des bonds dans l’espace, lieu et temps. Mais je fais là un maigre résumé ! C’était un des bons moments de + si affinité, où les conversations s’envolent.

Y
Et du coup, y en a qui retombent…
Il m’apparaît également, maintenant que ton installation a disparue, qu’elle traversait la thématique du fantasme. Pas tant au sens psychanalytique « production de l’imagination par laquelle le moi tente d’échapper à la réalité » puisque quel artiste ne serait pas un réalisateur de fantasmes ? Qu’au sens étymologique, phantasma : « image offerte à l’esprit par un phénomène extraordinaire », qui a donné fantasmagorie et fantôme.
C’est sans doute le côté fantomatique qui m’a le plus frappé l’esprit lorsque j’ai vu ton travail, sans l’exprimer ainsi ; je t’avais dit : « calme, intranquille ».
C’est quoi un fantôme ? Une apparition. L’apparition d’une disparition.
Plus précisément, l’apparition d’un disparu qui aurait perdu son enveloppe tout en gardant l’adresse : ça hante un lieu, un fantôme. (D’ailleurs, ne serions-nous pas de monstrueux vaisseaux fantôme au vu du nombre de spectres qui nous hantent ?)
Et puis, ça a une fréquence de fréquentation.
Si ça apparaît, ça disparaît… avant de réapparaître. (Et oui ! ça revient un revenant). Je trouve qu’il y avait ce mouvement dans tes vidéos qui leur donnait un aspect inquiétant, spectral.

D
Oui, je pense que le dessin c’est un fantôme sur papier, et avec le dessin animé, il s’en échappe !

Delphine Gigoux-Martin + si affinité 2005 Fiac (Tarn)

+ si affinité 2005 – Fiac

+ si affinité 2005

10 familles      10 artistes

Dépasser la rupture entre l’imaginaire et le réel à travers les figures de la fantasmagorie comme l’étrange, le rêve, le fantasme ; c’est sur ce terrain, à la fois mystérieux, instable et troublant que le projet de FIAC s’est engagé pour 2005 et 2006.
A la différence des éditions précédentes, ce qui se trame est sans doute plus du ressort de l’espace mental et psychique que du contexte social, politique, ou économique. D’ailleurs, le rêve et le fantasme, l’intime et le désir, le plaisir ou le déplaisir ne sont-ils pas tout aussi partie prenante du contexte de cette aventure humaine et artistique ?
Mais quels rapports véritables l’imagination et la réalité entretiennent-elles ?
Quel rôle l’art joue-t-il à la jonction de ces domaines ?
En tout cas il ne s’agit plus d’opposer réalité et imaginaire, puisque le projet consiste précisément à déjouer l’opposition sécurisante et somme toute assez confortable que l’on établit encore trop souvent entre ces deux termes. Encore faut-il identifier cet espace non plus comme une frontière, mais bien comme un territoire à investir, à redécouvrir.
Qui, mieux que les artistes, est à même d’opérer ce renversement, de miner l’antagonisme habituellement de mise entre le vrai et le faux, l’imaginaire et le réel et dans le démontage de ces fausses symétries ?
C’est à ce mouvement, à cette transgression, qu’ils ont été invités à Fiac, jusqu’à déranger peut-être l’ordre établi de certaines conventions culturelles, morales et psychologiques.
En particulier quand l’opposition traditionnelle entre le rationnel et le pulsionnel se pervertit, éclate d’elle-même, à travers le prisme mouvant de la fantasmagorie.
Loin d’un repli stratégique, d’une échappatoire face au réel, le fantasme à réaliser à travers ce projet serait alors celui d’une découverte d’articulations autres entre les ordres (ou les désordres) du physique et du mental. Sans doute aussi le moyen d’explorer plus profondément encore cette dimension si énigmatique, celle de l’humain, qui représente l’essence même de cette aventure.

Du familier et de l’étrange

La dimension humaine première à laquelle sont confrontés les artistes en arrivant à Fiac, est celle de l’intimité de la cellule familiale qui, le plus souvent renvoie à l’image du couple.
Mais par delà cette image à géométrie variable c’est bien entendu le rapport à l’autre qui est en jeu. Dès lors, le système des relations inter personnelles va constituer un espace à part entière, une sorte de théâtre de l’altérité où les apparences et la réalité de l’identité sont d’autant plus difficiles à dissocier.
Poser la question de l’autre, de l’étranger à soi, ne revient-il pas à s’interroger sur sa propre nature ? Plusieurs artistes ont tiré parti de la situation familiale et du couple dans ce sens. Moins pour figer notre (nos) identité (s) dans l’unicité que pour les reconsidérer dans leur pluralité. Comme pour remettre le familier et l’étranger (voire l’étrange), le connu et l’inconnu, en équation.
C’est justement le credo de Nicole Tran Ba Vang, dont le travail consiste à déjouer le caractère univoque de l’identité individuelle. La question « Qui sommes-nous ? », qui est au centre de son travail, l’intéresse non pas pour la réponse, mais pour le processus qu’elle engage : « cette question doit rester une question à laquelle on n’arrête pas de répondre » NTBV. Comme dans une boucle sans fin, la forme qu’a pris sa réalisation : une oeuvre vidéo tournoyante où elle a demandé à ses hôtes,
Nelly et Jean-Pierre Boyer de jouer leur propre rôle. Un rôle qu’elle a fait endosser par la suite aux autres habitants du village. En résulte une sorte de vertige où l’humain apparaît, à la fois individuel et collectif, dans toute sa vérité et dans toute son étrangeté.
A prendre aussi comme un antidote aux tentations et aux dérives identitaires.
C’est à l’une de ces dérives que les hôtes de Ludovic Chemarin, Elizabeth Henry et David Putman, ont voulu échapper en quittant tout récemment les Etats-Unis pour s’installer dans la campagne tarnaise avec leurs chevaux. David a du sang indien et a fait le Vietnam.
Elisabeth quant à elle renoue avec ses racines. Le travail de Ludovic Chemarin croise ce qu’il a fantasmé de ce vécu à un ensemble de signes historiques, sociaux et politiques : couleurs nationales, références au western, au choix individuel et au rêve américain etc.
Le tout est condensé dans une étonnante sculpture, Le ricain sec qui présente un squelette allongé dans une châsse de verre. La base du crâne sur lequel il a disposé des figurines de soldats est soutenue par une effigie du Pape. Ici, la figure de l’étranger ressurgit au profit d’une critique virulente de l’imaginaire politique et spirituel qui socle notre identité collective occidentale et ses fantasmes compassés de domination sur l’autre.
Une autre histoire de couple et de rapport à l’autre, croisant l’individuel, l’intime et le collectif s’est tissée avec Carole Douillard mais sur un tout autre registre. Cette fois sur celui du désir, du plaisir et de la relation amoureuse que Sabine Bernaud et Christophe Tellez ont été invités à jouer chez eux dans leur salon. La performance dont ils ont constitué la matière première les montre assis dos à dos et côte à côte, légèrement décalés sur deux sièges. Lui, saxophoniste professionnel, interprète une partition pleine de silences.
Elle, alanguie, joue délicatement avec ses longs cheveux blonds. Un charme teinté d’érotisme opère à plein, habite l’espace entre les deux amants, les relie, tout en les isolant de l’auditoire qui les observe sur leur socle/scène immaculé. Ici la réalité et le fantasme fusionnent. C’est la perception de ce lien intangible qu’a orchestrée et exposée Carole Douillard, celle de l’alchimie la plus étrange qui soit à l’oeuvre dans les relations humaines à travers le lien amoureux et le désir de l’autre.

Quand tout bascule

Rendre tangible l’intangible est l’une des dimensions les plus intrigantes de l’art. C’est aussi l’une de ses missions première et originelle, qui par bien des aspects, reste valide et nécessaire dans ce monde contemporain. Cette dimension se réalise dans ce dépassement que nous évoquions plus haut de la césure abstraite entre imagination et réalité.
C’est alors qu’apparaît un territoire intermédiaire qui est aussi un état transitoire aux délimitations floues et mouvantes, en constante fluctuation. Cet état particulier est de l’ordre du flux, du flot de sensations plutôt que du point fixe ou du périmètre. Révélant et jouant des limites de nos perceptions sensorielles et intellectuelles, il correspond à un moment où l’étrangeté devient perceptible, quasi tactile. C’est à ce moment que tout bascule, et nous avec, dans un autre paysage physique et mental.
Laurent Montaron est un artiste qui déjoue la frontière avec l’imaginaire en explorant cet autre paysage. A la surface tout semble normal, en dessous… il y a une quantité d’émotions qui courent profondément en toi, est le titre de l’installation sonore réalisée chez et avec la collaboration de Rodolphe Collange. Au bout d‘un chemin conduisant à la lisière d’un bois, le visiteur arrive à une sorte d’affût où il se retrouve en position d’écoute et de contemplation. Règne une atmosphère légèrement inquiétante : le chant des oiseaux est particulièrement dense, un bourdonnement sourd semble faire vibrer les broussailles et les feuilles des arbres. Soudain tout s’arrête, tout s’écroule dans un trou noir sonore, le bruit du monde s’est s’évanoui dans une aspiration subite. Puis tout recommence. Tel un ressac, ou un fantôme, l’enregistrement sonore dédouble la réalité du moment tout en perforant la surface des choses. Le paysage intérieur (mental) et le paysage extérieur (physique) communiquent, basculent dans une forme d’étrangeté surnaturelle.
L’histoire de Jean-Pierre et Martine Garrouste, éleveurs de vaches Salers, dont s’est emparée Aïcha Hamu, n’est pas moins troublante. Elle repose sur l’obsession de
Jean-Pierre pour cette race à grandes cornes en demi-lune qui, pour la tribu africaine des Peuls, joue le rôle de médiateur entre les ondes cosmiques et telluriques. Enfant, Jean-Pierre Garrouste avait imaginé et fantasmé une origine lointaine à ces animaux.
Ce qu’il vérifiera par hasard, quelques années plus tard sur les roches gravées du désert du Sahara. C’est ce fantasme devenu réalité qu’a traduit Aïcha Hamu sous la forme d’une oeuvre sonore saisissante qui se déploie autour de la ferme des Garrouste.
Une déferlante invisible fait vibrer le sol et le paysage alentour comme si un troupeau de centaines de têtes faisait une irruption fracassante dans le réel. Le titre de l’oeuvre, Transe Panique, renvoie à un phénomène naturel qui reste mystérieux : quand les animaux se regroupent soudainement par milliers pour effectuer leur migration ou se livrer à d’étranges ballets circulaires à la façon des chamans. Avec cette oeuvre extrêmement troublante, Aïcha Hamu croise les mystères de l’ordre naturel et ceux d’un imaginaire qui serait à voir en fait tel une porte légèrement entrebâillée sur des réalités imperceptibles.
Il est vrai aussi que le phénomène de la transe, de ce moment où tout bascule, n’a été reconnu que très récemment comme une donnée inhérente à l’humain, à sa culture comme à sa nature. Au regard des découvertes effectuées il y a peu de temps par des anthropologues et des paléontologues, cette voie d’accès à une réalité autre, serait à l’origine même de l’art et de nos civilisations actuelles. Les mécanismes physiques et psychiques de la transe ont fait l’objet d’études approfondies dès les années cinquante avec les expérimentations d’Aldous Huxley ou de Albert Hoffmann qui a mis au point la formule chimique du LSD à des fins scientifiques.
Virginie Loze connaît bien les écrits de Hoffmann. Son travail de dessin et de vidéo montre le plus souvent des personnages hybrides et tourmentés, comme issus d’une friction entre l’imaginaire et le réel. Son hôte, Nicolas Pack, lui a relaté sa seule et unique expérience de la fameuse molécule chimique avec le défilement des visions et des hallucinations qui se sont inscrites dans sa mémoire de manière indélébile. L’artiste s’est livré à un exercice étonnant en traduisant par le dessin d’animation le déroulement des étapes de ce « trip ». La vidéo Fat Freddy LSD dure 1mn 35 pendant lesquelles la réalité se déforme, prend des allures grotesques ou inquiétantes. Mais le plaisir n’est pas absent, il surgit ça et là sous la forme de manifestations et de sensations qui oscillent entre le magique et le merveilleux. Loin de faire l’apologie du LSD cette oeuvre fait remonter
à la surface l’une des fusions les plus manifestes du réel et de l’imaginaire. Il donne une réalité visuelle et tangible au phénomène de l’image mentale et à ce moment où tout bascule. Certes, il y a d’autres moyens moins risqués et plus « naturels » que la chimie légale ou illégale qui toutefois joue un rôle important dans le phénomène qui nous intéresse.

A la fenêtre du rêve et du fantasme.

L’histoire du sens donné aux notions de rêve, de fantasme ou de fantasmagorie dans la pensée occidentale révèle bien l’évolution des mentalités et de la conscience du rapport entre le réel et l’imaginaire. Au XIIème siècle, le rêve et le fantasme sont synonymes de fantômes, d’illusions et de fausses apparences. Au XVIème siècle, Calvin se demande
s’ils sont le fruit d’une machination diabolique ou d’un miracle divin. C’est au XIXème siècle qu’ils prennent un sens rationnel et médical, mais avec une connotation négative persistante : toujours illusion, ils procèdent d’un trouble des facultés mentales ou d’une lésion optique. En fait, ils représentent une forme d’hallucination pathologique dans un monde où règnent la raison et les faits. C’est avec l’invention de la psychanalyse que Freud engage une révolution radicale : sous l’angle du refoulé il inscrit le rêve et le fantasme dans un rapport structurant à l’individualité. Aujourd’hui, bien au-delà du stade du miroir, l’imagination accède à un nouveau principe actif. Les recherches les plus récentes sur les interactions entre la perception humaine et son environnement bouleversent le rapport du réel à l’imaginaire pour mieux comprendre le sujet dans son rapport au monde. Les représentations conscientes ou inconscientes révèlent autant le monde (qu’il soit intérieur ou extérieur), qu’elles le formatent et l’impriment. En d’autres termes, le réel n’est plus un phénomène extérieur et l’imaginaire n’est pas une fiction mais bien une forme de réalité qui est à l’origine de ce que nous faisons du monde.
Se pencher à la fenêtre de l’imaginaire revient alors à recharger, à enrichir la réalité, pour toujours recréer et réadapter une relation vivante au monde.
C’est d’ailleurs aux fenêtres de la maison de Lila Poujade, Mathieu Lacaze et Yves le Capitaine que Delphine Gigoux-Martin invitait à découvrir une oeuvre intimement liée à l’espace-temps du rêve. Son travail consiste à superposer et à décadrer des archétypes sur le fond de réalité que constitue le lieu d’exposition pour créer une forme de hors champ visuel et perceptuel. Quatre dessins animés montrant des poissons ou des oiseaux
(espadon, piranha, dauphins, fous de Bassan) étaient ainsi projetés à même les murs ou le sol des chambres et de la cuisine donnant sur un jardin. Le visiteur ne pouvait pas entrer à l’intérieur de la maison mais seulement contempler ces animations visuelles de l’extérieur, comme on regarde à travers le verre d’un aquarium. Libérées du fonds et du cadre de leur territoire originel (la feuille de papier, la mer ou le ciel), les images fantômes des animaux effectuaient un ballet sans fin à la surface des choses, comme illuminant de l’intérieur l’espace d’un rêve éveillé.
La source d’eau noire qu’Evor a inventée et découverte chez Daisy Alvergne distille aussi cette part de fantasmagorie. Elle propose une sorte de méditation apaisante même si la noirceur de l’eau suintant en goutte à goutte de l’affleurement rocheux situé à l’arrière de la maison imprégnait l’atmosphère d’un parfum de doute et d’ambiguïté. Daisyderata a été conçu dans une relation étroite et sensible à la personnalité de Daisy qui cultive elle-même un rapport particulier, emprunt de mystère, à la nature et aux éléments.
C’est cette relation au monde et aux choses que l’artiste a traduite et prolongée sous la forme d’un portrait fantasmé : « A la manière d’un alchimiste, d’un chercheur, j’élabore des « objets-indices », amorces de scénarios mentaux et sensoriels qui entretiennent
un rapport troublant et fantasmatique aux rêves, fussent-ils cruels ou cauchemardesques ».
C’est ainsi, à l’image du débit doux et reposant de la source, que la fragilité, la sensualité, mêlées à l’intuition d’un trouble, participent d’une sensation hybride où le fantasmé jette une sorte de charme diffus sur la réalité concrète de la situation.
Mais c’est le charme du fantasme érotique représente l’un des accès les plus directs entre imagination et réalité. Une voie qu’emprunte et explore Ghislaine Portalis depuis quelques années en traduisant le « parcours subtil et pervers du désir et la joyeuse permanence du jeu libertin » (GP). Chez Eva Gustafsson et Jacques Monllau, elle a transformé le moment du petit déjeuner de ses hôtes en rituel symbolique en leur proposant de substituer au bol du matin une vaisselle inattendue : deux jattes de porcelaine de Sèvres du XVIII ème siècle qui auraient été moulées sur les seins de Marie-Antoinette.
Une vidéo diffusée dans le salon de la maison montre le couple en plein repas avec une sorte d’image subliminale récurrente où l’on remarque des gouttes de lait perlant sur le carrelage de la cuisine. Ce parcours érotico symbolique se termine dans la chambre avec un tableau au dessus du lit fait de deux images superposées : il décrit un repas de femmes que l’on devine assez coquines au travers de motifs en dentelles de lingerie féminine. Avec ces évocations de l’amour charnel à travers le repas, Ghislaine Portalis incarne le processus du fantasme dans sa capacité à ensemencer le réel.
C’est aussi sur le rituel du repas que sont directement intervenues Stéphanie Sagot et Emmanuelle Becquemin qui forment la Cellule Eat Design. Elles ont travaillé sur le moment clef de l’exposition, c’est-à-dire la soirée d’inauguration et son dîner de vernissage pris en commun au centre du village. Leur famille d’adoption était en fait une Cellule Familiale
Epicurienne Recomposée. Ensembles, elles ont conçu pour le dessert un gâteau collectif « à démonter » qui a pris les allures d’un happening fantasmagorique inattendu.
A la fin du repas, les convives ont été conviés à se rendre dans un lieu tenu secret, un immense parc peuplé d’arbres centenaires et plongé dans la pénombre. Dans le silence et la profondeur de la nuit étoilée, les invités se sont alors transformés en centaines de lucioles butinant un nectar mystérieux dans de grandes jattes suspendues aux arbres.
A lui seul, cet instant si particulier résume et réalise l’aventure qui a été tentée.
Comme quoi les fantasmes peuvent non seulement se réaliser mais se partager quand la réalité et l’imaginaire basculent de concert dans une évidence imprévue.
Pascal Pique

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Les artistes

Ghislaine PORTALIS, Virginie Loze,  Laurent MONTARON, Delphine GIGOUX-MARTIN, Nicole TRAN BA VANG, EVOR, Ludovic CHEMARIN, Carole DOUILLARD, Aïcha HAMU, La CELLULE

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Le commissariat

Commissaire d’exposition : Pascal Pique

Direction artistique : Patrick Tarres

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Soirée Off

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Le mot du Président

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Remerciements

Virginie Loze – + si affinité 2005

Virginie Loze

Fiac  2005  –  + si affinité

Un événement de l’AFIAC

Commissaire d’exposition : Pascal Pique

Directeur artistique : Patrick Tarres

L’artiste était reçu chez Nicolas Pack

« Fat Freddy LSD »

Virginie Loze, 2005 / Vidéo, muet, 1mn 35 / Régie vidéo Sébastien Taillefer

Mardi 27 décembre 2005, en Vieulelle, Caraman.

De Virginie Loze à Nicolas Pack.

Virginie Loze + si affinité 2005 Fiac

Te souviens-tu, Nico ? Patrick nous a présenté.
Du café, nous sommes allés chez toi ; cette maison que tu loues avec Seb, sur les hauteurs de Fiac. une habitation construite dans les années 80, avec de la pelouse devant, une haie de lauriers et un Catalpa un peu triste. Sur le côté, un grand arbre nous a abrité plus tard du fort ensoleillement de juin. Et puis, le chaos de bûches et de troncs sectionnés et déchargés là, un peu avant la pente et la limite du terrain. Pour te chauffer, tu m’as dit, et rester au coin du feu l’hiver, comme de profiter du panorama face aux Pyrénées, l’été.

Tu m’as montré la « plante-crevettes » sur le rebord de la fenêtre, les néons violets qui fond de la lumière noire, la poubelle odorante utilisée pour préparer le rhum, les enceintes, ta table de mixage, le reste du matériel pour les free parties.

Virginie Loze + si affinité 2005 Fiac

Au salon, je t’ai dis que j’aurais voulu lors de notre première rencontre t’approcher déguisée en fée, la peau nacrée, du bleu sur les paupières, accoutrées vraiment comme une fée et te dire que j’exaucerais tes voeux. Dark Vador était adossé au mur.
J’ai vu ta collection de canettes, le coffret d’Alien, l’affiche des Simpson, l’énorme téléviseur à écran plat, l’ordinateur de Seb, les canapés usagés, de tout partout dans la cuisine, une petite table basse souillée de cendres et de bout de tabac.
Je t’ai dis qu’à fumer autant doser afin d’être en état hallucinatoire. Le regard empli de complicité, tu m’as raconté ton unique expérience du LSD, à l’âge de dix-sept ans.
Tu avais absorbé un « Fat Freddy » nom d’un personnage de bande dessinée américaine des années 1970, crée par Gilbert Shelton. A travers la série des Freak Brothers, l’auteur a raconté le quotidien de trois personnages dont l’occupation principale était de se droguer et trouver le moyen de se procurer cette drogue, sur le ton de la désinvolture et du « je m’enfoutisme ».
J’ai recueilli ton témoignage, tu disais : « Le conducteur de notre véhicule est apparu avec un masque blanc de Comedia d’El Arte souriant comme un diablotin…
En marchant, le macadam s’est assoupli comme de la barbe à papa… A Albi, au niveau du rond point où figure la sculpture de Casimir Ferrer, une jungle est apparue…
Dans l’habitacle du véhicule, à travers le pare-brise, une nuée d’insectes ou peut-être des flocons de neige se sont approchés… Des flammèches blanches ont traversé la route le long du trajet… Le contrevent d’une des maisons scintillait comme du métal…
Au-dessus des voitures en stationnement, de hautes fumées violettes sont apparues…
J’ai rapetissé au point de devenir minuscule…
La perspective de la rue s’est intensifiée comme les lignes fuyantes d’un tunnel et les façades ont ondulé comme dans un mirage ».
Plus tard, j’ai agencé ces visions en images. J’habite non loin de chez toi.
Je venais te montrer comment successivement, j’envisageais le déroulement des plans visuels. C’est par la télé, sous la forme de vidéo DVD que j’imaginais projeter tes visions, en raison de ton habitude à te détendre devant les programmes audiovisuels.
Au moyen d’effets spéciaux vidéo, du dessin et l’aide technique de Sébastien Taillefer, j’ai réalisé une minute d’images de film d’animation qui ne sont pas l’exacte représentation des phénomènes visuels que tu as perçu mais la mise en forme de tes mots.
Puis, on a diffusé le film sur le téléviseur du salon durant tout le temps de « + si affinité ».
De bons moments, des extra…
A next.
Virginie

Virginie Loze + si affinité 2005 Fiac

De Nico à Virginie,

Comme je te l’ai auparavant dit

L’écriture n’est pas mon exercice favori

Mais je vais m’essayer à coucher sur papier

Quelques mots pour exprimer mes pensées.

En relisant ta lettre, je me suis arrêté sur un point troublant. Tu évoquais le fait que tu aurais voulu m’approcher lors de notre première rencontre, déguisée en fée, « du bleu sur les paupières » et me dire que tu exaucerais mes voeux.

Rien d’inquiétant jusque-là. Ce qui a attiré mon attention, c’est que récemment lors d’une soirée déguisée j’avais choisi pour m’accoutrer le personnage d’une fée, de bleu vêtue, avec du bleu comme couleur de maquillage (notamment sur les paupières).

Voilà déjà quelque chose de plus croustillant !

Plus intéressant encore, j’étais ce soir-là équipé d’une baguette magique scintillante de bleu (en réalité un de nos « sabres laser » fabriqués pour la soirée dans les bois, récupéré pour l’occasion), et je me proposais d’exaucer les voeux des personnes que je rencontrais.

Et c’est là qu’en moi ont commencé à se dessiner les scénarios les plus malicieux, aurais-tu joué sur mon subconscient ? Ne serais-je qu’un pantin manipulé par quelques fils dont tu détiendrais le contrôle du bout de tes doigts agiles, lien entre tes pensées et tes dessins, guidés par quelques pulsions créatrices (dont je serais le jouet ?!!!).

Je tentais de reprendre le contrôle lorsque pour m’achever, je me suis rendu compte que cette soirée déguisée s’était sûrement déroulée au moment où tu écrivais ta lettre.

Voilà une petite anecdote racontée sur le ton d’un polar, bien sûr aucune de ces sombres pensées ne reflètent la réalité. Au contraire je garde un agréable souvenir de notre rencontre.

Au plaisir…

Nico

Virginie Loze + si affinité 2005 Fiac

 

AFIAC/Café/Performance | Marcel Sparmann

Le projet  » ‘Kamcel’-performer l’autre  » fait l’objet d’un partenariat entre La Chapelle Saint-Jacques et l’AFIAC. Marcel Sparmann et Kamil Guénatri  seront accueillis en résidence de création à La chapelle Saint-jacques une semaine avant le restitution de ce travail à l’AFIAC/Café/Performance du 1er mai.

 

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« Le projet ‘Kamcel’ – performer l’autre »

Performances collaboratives avec Marcel Sparmann et Kamil Guenatri.

« Il s’agit d’un certain homme qui hante mes pensées. Un personnage athlétique, aux proportions symétriques qui surgit parfois dans mes rêves, parfois dans ces moments de la journée où tout s’effondre pour laisser transparaitre une fulgurance. Cet homme est vraiment étrange car il a sur lui à chaque fois des objets improbables qu’il manipule ou agence pour créer des situations splendides. Comme le magicien d’oz, un poète ou un performeur perdu dans le flux des symboles qu’il convoque… Je ne sais pas si cet homme essaye de me communiquer des éléments de sa propre existence ou de la mienne mais c’est certain qu’il me raconte une  sorte d’histoire !  Nous nous découvrons chaque fois un peu plus avec toutes ces années de côtoiement. Pour ne rien oublier de ses passages, je note sur mes brouillons tout ce qu’il fait. Cet homme n’avait encore pas de nom mais après avoir récemment raconté l’anecdote à un ami, nous avons décidé de le baptiser ‘Kamcel’… »
Le projet ‘Kamcel’ est né en 2014 de la rencontre de deux artistes performeurs aux corps visiblement différents, l’un handicapé et l’autre valide. En utilisant  cet écart de possibilités physiques dans des situations performatives, les deux hommes tentent de questionner les notions de limite et de communication entre des corps : comment partir d’un acte ou d’un objet que l’autre s’approprie ? Qu’est-ce qui se crée entre les deux ?  L’idée de base du projet, est de créer un dialogue performatif entre l’imaginaire de Kamil Guenatri et les possibilités d’appropriation par Marcel Sparmann. Ces situations proviennent principalement des brouillons cités auparavant. Ces dernières étant vastes et diverses, les performances se font dans des contextes différents : public/privé, intérieur/extérieur, à tour de rôle/ensemble, …etc. Chaque situation donnant lieu à une photo-performance dont la collection constituera un livre visuel, format final du projet. Ce livre comportera à son tour les questionnements de ce projet, dans sa mise en page qui explicitera visuellement ce va et vient entre les deux corps.

« ‘Kamcel’ project – perform the other»

Collaborative Performances with Marcel Sparmann and Kamil Guenatri.

” It’s about a certain man that haunts my mind. An athletic man with symmetrical proportions, that sometimes comes in my dreams, sometimes when all fall to pieces to let swift images show through. This man is really strange because he comes each time with improbable objects and uses those to create splendid situations. Like the wizard of Oz, a poet or a performer lost in the flow of symbols he conveys. I don’t know if this man tries to pass on to me elements of his own existence or from the mine, but it’s certain that he tells me a kind of story! We discover each other a little bit more every time, with all this years of mixing with. I write on my rough books all what he does in order to never forget from his appearances. Up to now, this man was anonymous for me but recently I have told this anecdote to a friend and we decided to name him ‘Kamcel’… “
The ‘Kamcel’ project born in 2014 from the meeting of two performance artists, with obviously different bodies, one disabled and the second fit. Using this physical gap in performance situations, the two men try to wonder about limit notions and communication between the bodies: How starting from objects or actions the other can appropriate? What is created between? The first idea of the project is to create a performance dialogue between Kamil Guenatri’s imaginary and embody possibilities of Marcel Sparmann. Situations come mostly from the indicated rough books before. These being vast and varied, performances would be realized in different contexts: public/private, inside/outside, in turn/together… etc. From each situation will be produced a photo performance and the collection would form a visual book, final outcome of the project. This book will also include project questioning with a special page layout that will show the back and forth between both bodies.

 

AFIAC/Café/Performance | Hélène Mourrier

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Hélène Mourrier. TRANS-formation . En préambule à PLASTIC QUEER.

Changer de sexe, c’est à dire inverser l’ordre établi du féminin et du masculin, des sexes et des genres, n’est pas accueilli comme un choix raisonné ni sensé. FT* / MT* a donc eu pour ambition de permettre la compréhension des opérations de chirurgie génitale pour les personnes trans, en adoptant un positionnement objectif, dégagé de toute connotation morale. Le rôle de ce projet n’est ni d’encourager un passage à l’acte ni d’omettre les revendications trans, il s’agit de visibiliser les potentialités corporelles permises actuellement par la médecine. La construction et la déconstruction du genre existe alors par l’image même ; il s’agit ainsi de disposer de son corps au travers d’une nouvelle représentation.
Hélène Mourrier, est diplomée d’un BTS Communication Visuelle et d’un DSAA Design d’Illustration Scientifique de l’école Estienne. Elle termine actuellement ses études à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.

AFIAC/Café/Performance | Josselin Vidalenc

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,,,,,Il y a des personnages qui me traversent au cours de mes performances. Et crois-moi, ils sont nombreux. Pourtant je suis réellement physiquement engagé dans ces performances. Sculpture, installation, peinture, performance, lecture, concert. Je note : « INDÉTERMINATION ». Le spectacle, je veux bien, mais je veille à ne pas (sur-)jouer certains mouvements et certains gestes. Je m’efforce à de la retenue pour ne pas tomber dans le bluff et la supercherie de certaines actions que je trouve trop grandiloquentes et tape-à-l’œil de certaines performances contemporaines ou de certaines pièces de théâtre. Mais il y a, toutefois, certains mouvements qui sont (sur-)joués, ou joués intensément. Tu connais le Bob? C’est une danse immobile, très physique, qui consiste à contracter durement tous ses muscles. Ceux qui te regardent ont l’impression que tu ne forces pas. Mais ils devinent vite la tension énorme dans ton corps. Je transpire. Je transpire même beaucoup, parfois. J’y laisse des plumes. Mais tout le monde y laisse quelque chose dans l’art.
,,,,,Les gestes que je réalise sont écrits. Je note l’équation suivante : «1 GESTE = 1 NOTE» ou « 1 GESTE = 1 LETTRE ». Je constitue un répertoire (ou enchainement) de gestes précis que je répète individuellement pour les réaliser publiquement avec dextérité. RÉPÉTITION comme une gamme. L’exécution d’un geste ne laisse pas place à l’improvisation. En revanche je ne prépare jamais l’enchaînement de ces gestes pour rester spontané entre les repères que je me suis fixé.
Les personnages (ou «Je») agissent différemment de monsieur ou madame Tout-le-monde. Résistance. Gestes abstraits. Gestes absurdes. Gestes autres. Gestes qui ressemblent à des mouvements ordinaires exécutés dans l’espace domestique ou dans la vie de «tous-les-jours» mais transformés (modifiés).
Manifeste : TROUBLER ! Je note : « familiarité de certaines formes, de certains objets et matériaux issus de l’environnement domestique, des supermarchés bon-marchés et des grandes surfaces de bricolage ». Mais je note aussi : « détournement ». Je pense au stress que je pourrais involontairement provoquer chez les objets, et je cherche justement à les manipuler, à les transformer, ou à la fabriquer sans les stresser.
+++ Porter un masque ou d’autres accessoires de corps. Tout ce qui colle à ma peau je le nomme «accessoire de corps». Le reste s’appelle «accessoire d’architecture» ou «mobilier». Au cas où tu te demandes comment je les fabrique, je te dis que je les fais avec des transformations élémentaires et très simples. DÉCOUPAGE,,,, COLLAGE,,,, RECOUVREMENT,,,, Tu vois, on reconnais, du papier toilette, des balles de ping pong, des enveloppes, des gobelets. Tout ça ressemble à un environnement familier, domestique, mais rien n’est utilisé normalement. Je cherche, en résumé, à inquiéter le réel et le quotidien.

AFIAC/Café/Performance | FETEFIAC

 

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Suite aux recherches menées durant l’atelier Genius Loci, Compitalia, de L’ISDAT, l’AFIAC donne carte blanche aux élèves lors d’un Café/Performance le VENDREDI 6 FEVRIER à l’Oeuf de coq à 21h à Fiac.
ateliers de recherche
GENIUS LOCI : COMPITALIA
enseignant(s)
S. Dégeilh, M. Gary, O. Huz
semestre et option
7 & 8, option design et design graphique

objectifs :
Appréhender le design graphique et le design dans leur relation à l’espace et au temps.

Pour filer la résonance latine de l’atelier, nous prendrons cette année comme nouvel objet d’expérience la fête consacrée aux génies du lieu, Compitalia, dans la Rome antique. Il s’agira d’envisager la fête comme incarnation événementielle et exceptionnelle des mythologies propres à un lieu ; un espace-temps où se confrontent réel et imaginaire, histoire et fiction, et d’interroger comment le design graphique et le design peuvent l’accompagner, voire la faire naître par son annonce, son déroulement, sa mise en scène et sa restitution.

Rémi Groussin – Lost Angels | IME Lostanges | 2014-2015

DSC06155rgimsitergimsite-1Une résidence d’artiste en création à l’IME/SESSAD Lostanges 81710 Naves, dans le cadre du dispositif Culture & Santé,
un partenariat entre la DRAC et l’ARS. Partenaire culturel l’AFIAC.

 

LOSTANGES
Décembre 2014 : Dans les couloirs de l’IME, après m’être rendu à l’accueil du secrétariat, j’entends une dame approcher de moi, faisant claquer ses chaussures au sol pour marquer sa présence implacable. Je me retourne vers elle puis elle me lance franchement :
– « Vous êtes ici pour le stage de l’animation des Arts-plastiques ?  »
Totalement surpris, par le terme « stage » je me dis qu’elle a dû me prendre pour un anglais, encore une fois. Cela m’arrive souvent. Déjà dans les rues de Londres, de parfaits British m’arrêtaient pour me demander leur chemin, assurés que j’étais un vrai Londonien. Les gens pensent souvent que j’ai un physique étranger, une fois allemand, l’autre fois anglais. Quand elle me demande si je suis ici pour le « stage », je comprends donc qu’elle me parle de « stage » (traduction anglaise pour  » scène »). Je me demande surtout pourquoi elle a une telle envie de me donner un rôle, un job, un sens à ma présence intrusive. Tout ce quiproquo me re-contextualise directement. Nous sommes ici à l’Institut Médico Educatif de Lostanges, où chaque personne a son rôle à jouer. A l’image d’une pièce de Ionesco(1), le langage y est réinventé, le vocabulaire unique et l’élocution souvent hasardeuse. C’est bien là le charme de ce bel endroit perdu entre champs et forêts. Il y a toute une société qui s’ouvre à moi et me reste à découvrir. La résidence se présente comme un spectacle dont je suis à la fois le spectateur et le scénariste.
Restant donc sur mes incompréhensions verbales, je décide d’entrevoir le résultat de mes découvertes de manière scénique, dont tout ce qui s’en suit n’est que partie prenante d’un récit souvent morcelé : une pièce de théâtre de fin d’année répétée à la hâte, au dernier instant. C’est donc dans cette logique que je réserve une scène de spectacle modulable pensée comme le réceptacle d’une exposition presque performée.
Le travail se déroule dans un tout autre décor. Après une période d’adaptation, à la découverte d’échanges culinaires amicaux, de discussions cinématographiques horrifiantes et de puzzles étourdissants, je décide de travailler formellement dans un endroit reclus, à l’abri de tout regard pour préparer en secret la scénographie de cet étrange spectacle. C’est dans le garage du FOT que j’organise mes « backstage ». Cette cave foisonnante d’objets en tout genre, de nombreuses traces renvoyant toujours à la vie des institutions au dessus (FOT/ IME), m’offre des possibilités de fabrications inouïes. Je commence à m’amuser, à bricoler, je rassemble et « dés-assemble ». J’aborde une sculpture minimale, faite de gestes basiques mais traditionnels, comme le découpage, le collage, l’assemblage dont la conception relève d’une complexité exigeante, proche d’un post-minimalisme américain des années 70 (2). Une complexité tenue dans des symétries strictes et des contraintes précises.
Je commence par récupérer de grandes tôles noires en goudron tissé, d’anciennes couvertures de toit abandonnées aux intempéries qui conservent une forme figée d’érosions passées. Elles deviennent les rideaux de la « black-stage » finale. A la limite d’un ready made, cette première sculpture ne réside que dans un seul geste qui confère à l’incompréhension dont je parle plus haut. Ce geste n’est qu’un déplacement de regard, un redressement à la verticale de l’objet qui pointe ses propres défauts comme des voilages figés en plein mouvement d’air.
Le défaut et l’abandon comme point de départ conceptuel, je continue quelques tentatives, celles de révéler un regard divergeant sur des matériaux laissés au rebut. Il y a une forme d’hétérotopie(3) dans ma méthode artistique, à l’instar de ces institutions en marge, éloignées des centre villes, presque cachées comme au bout du chemin qui sont en réalité, des territoires de liberté où toute règle est à adapter, à inventer. Les restes de carreaux de carrelage dépareillés me servent de sol psychédélique dans lequel je tente de reconstruire une symétrie bancale presque impossible comme un puzzle ultra-complexe. Les anciennes plinthes de PVC imitation bois, deviennent des cercles concentriques à l’image d’anciens instruments alchimistes, questionnant la place de l’humanité au sein d’un univers exponentiel absolu, – La théorie des cordes revisitée en sous sol-. Des restes de plaques de PVC colorées de même dimension sont détournées en un outil de mesure géant. De vieilles jalousies cassées seront des tableaux d’écritures binaires dont le code s’avère indéchiffrable, à l’image du dernier film d’anticipation de Christopher Nolan Interstellar. Enfin je filme, de nuit, l’établissement qui m’accueille pour le vider de toute essence, de toute fonction, de tous ses personnages. A bord de ma voiture de fonction, je me laisse coincer entre les grillages. Ce safari nocturne n’a d’intérêt que la révélation d’un paysage dépeint, vide et calme qui tourne en rond, dans des mouvements de travelling désorientés nous rappelant sans arrêt le dispositif de captation. De légères références à la sonde spatiale Philae(4) nous renvoient à l’analogie infinie des ressemblances lointaines qui se répètent en boucle.
LOST ANGELS
Lointaine elle aussi la ville de Los Angeles en Californie. Los Angeles ou Lostanges pour ainsi dire au même niveau. La cité des stars déchues rencontre l’univers des petits anges au bout du chemin. Le monde du spectacle, du divertissement à outrance se retrouve propulsé au cœur de l’IME. Une scène montée au centre du réfectoire principal, transformé en salle de théâtre, accueille le temps d’un week-end les vestiges d’un récit dont il ne reste que des bribes éparses. Le dévoilement des coulisses vient nourrir cette narration elliptique et tout se retrouve imbriqué comme compressé en une forme de langage formel, dense. C’est par un bégaiement, une faute de prononciation ou une faute d’orthographe que l’exposition prend sens. Entre « Backstage » et « Black-stage » le travail conçu dans la cave, sous les pieds des résidents, parmi leurs propres rebuts ou de ceux-ci ou de ceux qui les ont précédés. Tous ces déchets de constructions du bâtiment dans lesquels ils déambulent quotidiennement se voient transformés, délicatement manipulés, pour en proposer d’autres natures. Finie l’utilité !, Le service de ces objets est tout autant jeté à la poubelle. Ils deviennent de potentielles machineries au service d’un spectacle. Lost Angels, est-ce un cabaret, un opéra, un film, chanté, dansé, clamé ?
Rémi Groussin

(1) Eugène Ionesco, La Cantatrice chauve (1950), Amédée ou Comment s’en débarrasser (1954), Rhinocéros (1959)
(2) Les artistes associés au post-minimalisme utilisent le minimalisme comme point de références esthétiques ou conceptuelles, tout en se permettant d’incorporer de nouveaux éléments fabriqués à la main. Robert Morris, Richard Tuttle ou bien Monika Sosnowska plus récemment.
(3) Michel Foucault, Le corps Utopique-hétérotopies, chez Lignes edition.
(4) Philae, est un atterrisseur de l’Agence spatiale européenne transporté à quelques 510 millions de kilomètres de la Terre par la sonde spatiale Rosetta jusqu’à ce qu’il se pose sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko le 12 novembre 2014

Partenaire du projet, la société COPROVER est intervenue dans le cadre d’un mécénat de compétence. Nous l’en remercions chaleureusement.

 

MEETING AN OBJECT

« Ne pas chercher à comprendre » répète à l’envi Rémi GROUSSIN. Il vous écoute parler de son travail et vous ramène à l’essentiel : « less is more ». Les pièces ne sont rien d’autres que ce qu’elles sont.
Déshabillé sur le champ, vous baissez les armes : pas de fioritures, d’emphase, de compréhension à la hâte, de références pompeuses. Il n’a que faire des artifices, des raisonnements spécieux sur l’art. C’est à l’objet qu’il vous confronte, l’objet spécifique, celui de l’art post-minimal dont il se réclame sans chercher à vous convaincre.

L’exposition « LOST ANGELS » propulse le visiteur là où il devrait être, en présence de l’objet, physiquement. Vous êtes soudain en présence du monde, littéralement. Un monde issu d’un geste préliminaire opéré dans le garage du Foyer Occupationnel et Thérapeutique (FOT-Faute). L’artiste a saisi les objets abandonnés pour leurs défauts, leurs erreurs, inutilité. Exilés du monde marchant, il réinsère ces « Lost Angels » dans un nouvel environnement, où ils deviennent présence scénique. Cet espace inclut le spectateur en l’invitant à réfléchir sur la portée conceptuelle et l’unité structurelle de l’œuvre. Objets et contexte sont dans un rapport narratif qui suscite une sensibilité littéraliste. Les choses ont pour ainsi dire une espèce d’intériorité qui de prime abord vous échappe.

A la démarche froide qui neutralise l’objet s’en substitue un autre qui procure des sensations de gestalt (forme-structure). Dans « Phénoménologie de la perception », M. MERLEAU PONTY1 évoque la Gestalt pour nous rappeler que le monde nous apparaît d’abord en tant que forme. La perception est le fond sur lequel tous les actes se détachent. L’œuvre s’apparente à cette structure indécomposable, à la forme unique et constante que décrit MERLEAU PONTY. Cette expérience troublante où les pièces sont mises en tension crée un espace autonome et atemporel. A l’IME le visiteur fabrique à son tour un rapport inédit, sensoriel avec les structures. Une relation anthropomorphique avec les sculptures de l’artiste l’invite à une sensation « d’implosion »2.
Thierry de DUVE3 dans son texte « Performance ici et maintenant » note que la modernité ne pouvait tolérer pareille promiscuité avec le théâtre du monde. A la conviction devant le tableau succède l’exaltation de l’objectité.4 Le tableau du modernisme n’est pas un objet dans un espace donné, il est le support d’une forme picturale. Le pouvoir de conviction découle de l’adéquation entre la forme du support et les formes dépeintes.

La fascination produite par les réalisations de Rémi GROUSSIN opère à la condition de participer, de se déplacer. « LOST ANGELS » instaure une distance originale d’où surgit la choséité des formes. L’exposition brise les conventions, le spectateur est aspiré par la présence silencieuse de l’objet, sa choséité selon un terme emprunté à Martin HEIDEGGER. Cette omniprésence confère l’autorité littérale de l’œuvre. « L’art littéraliste s’éprouve comme un objet placé dans une situation qui par définition inclut le spectateur ».5

« L’art minimal, un plaidoyer pour un nouveau théâtre »6. Cet espace théâtralisé c’est-à-dire comme art conscient signifie que l’illusion est consentie : même espace et même temps pour l’acteur et le spectateur. Ici un franchissement se produit, celui du 4e mur, l’écran imaginaire qui sépare la scène du spectateur ou encore l’acteur de son personnage. Cette rencontre suprasensible nous projette dans une temporalité sans ellipse : celle de la vie. Déplacement et vision en temps réel exposent le visiteur à ‘inconnu : la sensation de la durée. L’objet agit comme un trou noir proche de la 4e dimension. La présenteté de l’œuvre inhérente à la tradition s’efface si l’on y consent. Ce qui est valorisé est l’implication du corps propre, la corporéité des êtres vivants. MERLEAU PONTY affirme que le perçu s’expliquerait seulement par le perçu. « Less is more ».

Les pièces proposées sont le résultat d’un travail où la taille et la découpe des matériaux créent des objets spécifiques et révèlent leur fonctionnement artistique. L’artiste dépasse le jugement esthétique et tire le récepteur vers un bouclage auto-référentiel. L’art est mis en question du point de vue éthique. Les formes sculptées de l’artiste sont une entrée dans des systèmes qui pourraient se décliner à l’infini « blow up » (agrandissement) jusqu’à l’explosion. Rémi GROUSSIN réunit construction et déconstruction, systèmes modulables qu’il déplace, juxtapose, fragment. Il laisse agir le système. Le travail de sculpture, son geste de taille et de découpe est épuré, minimal (économie de moyens). Il empêche la modélisation et la systématisation.
L’acte sculptural de l’artiste est-il un commentaire sur l’art ? Son travail artistique renvoie à l’intellect, la Cosa Mentale. L’artiste sculpte l’idée comme la matière qui devient masse, forme, volume. L’idée est plastique. Rémi GROUSSIN provoque chez son auditeur une quête incessante de savoir, un gai savoir7. L’abondance de ses références culturelles pluridisciplinaires, en prise directe avec la vie, bouleverse les idéaux et ouvre le débat. Tête chercheuse, il repère l’essentiel dans un quotidien apparemment banal pour en extraire la profondeur, la beauté ou le génie. Cet intérêt manifeste pour le monde et son aura culmine dans ses œuvres où la narration exerce un dialogue suprasensible. Poésie et philosophie s’accouplent dans le silence. La vision politique se mesure à la volonté de ne jamais enfermer le propos.

La création engage le créateur dans un processus où il épouse sa forme dans un temps réel, sans anticipation, seulement dans la propulsion. La logique se révèle et advient d’elle-même. C’est de ne pas savoir et à cette condition seulement que surgira l’œuvre. Créer ou accepter de ne pas savoir c’est favoriser le vide. En cela toujours l’artiste s’engage.

Isabelle Vasilic, psychologue clinicienne, référente des projets Culture et Santé | IME/SESSAD Lostanges

1) Maurice MERLEAU PONTY La phénoménologie de la perception. 1976

2) Jean François PIRSON La structure et l’objet : essais, expériences et rapprochement. 1983

3) Ibid. p.37

4) Michaël FRIED Art et objectité. 1967

5) Michel GAUTHIER Revue Critique d’Art « Une fiction moderniste »

6) Thierry de DUVE, Performance ici et maintenant : l’art minimal, un plaidoyer pour un nouveau théâtre